Journal des jungles n°7 - Mineurs

Mai 2016 - St Omer

Publié le 1 mai 2016
JDJ journal multilingue

Journal des jungles n°7


En mai 2016, un résidence de rédaction du Journal des Jungles s’est tenue au sein de la Maison du Jeune Réfugié de Saint Omer, une dispositif d’accueil pour mineurs isolés géré par l’association France terre d’asile.

Vous trouverez le journal en pdf ici.

Après la publication du journal, nous sommes allés à la rencontre de certains des jeunes ayant participé à la résidence, ils nous racontent ce qu’ils sont devenus :

Journal des jungles n°7 – la suite
Certains textes sont trop longs pour la version papier, les voici en entier :

Mahamoud, 17 ans, de Conakry, la capitale de la Guinée.

J’avais 16 ans quand j’ai quitté la Guinée.  La décision de quitter mon pays c’est suite au retard de la rentrée scolaire. D’habitude l’école ouvre en octobre, mais pas cette fois à cause de la maladie Ebola, alors j’ai avancé vers le Mali. Je suis monté tout seul dans une remorque à Conakry pour rejoindre Bamako. J’avais peur. J’y ai passé deux nuits, à la gare, où je ne connaissais personne, et je ne savais pas où aller. Je n’avais pas d’argent et pas de quoi acheter à manger. C’est chacun pour soi et Dieu pour tous. J’ai eu l’occasion de prendre le bus pour Gao.
Là-bas, je suis resté dans un foyer pendant une semaine. Le responsable du foyer nous a mis dans un pick-up à destination de l’Algérie. Nous avons fait plusieurs jours de voyage dans le désert. On est arrivé à Kidal où on a été arrêté par des Touaregs qui contrôlaient la route. Ils nous ont fait descendre et ils nous ont dépouillés de tous nos biens, avant de nous renvoyer à Gao. Les responsables du foyer se sont organisés pour préparer un deuxième convoi, avec un conducteur touareg. On était 16 dans son pick-up, assis comme des sardines, que des garçons, pas de filles. On ne se comprenait pas, car on ne parle pas la même langue, ni les mêmes dialectes. Moi, je parle français, poular et un peu soussou. Notre chauffeur a négocié avec les Touaregs et il nous a fait passer en Algérie. On a rejoint Tamanrasset, puis la frontière  du Maroc. Je suis arrivé à Oujda, puis Rabah, puis Tanger, où je suis resté un mois dans la forêt. Quand j’ai vu les conditions de vie au Maroc, j’ai voulu venir en Europe. On a organisé un convoi en zodiac avec 32 personnes à bord et on a pris la mer pour l’Espagne, malgré la peur. Quand il y a de fortes vagues, le zodiac balance et on risque tout ! Mais on a réussi, on a été sauvé par la guardia civil espagnole. On nous a envoyés dans un camp de réfugiés. Après trois mois dans ce camp, on a été transféré à Madrid. Nous étions un groupe de 60. Nous nous sommes dispersés. Comme je ne comprends pas l’espagnol, j’avais du mal à communiquer. Mais j’étais en contact avec un Français. Il m’a proposé de venir en France. Je me suis dit, comme je me débrouille en français, pourquoi pas ?
Il m’a pris dans son minibus et m’a emmené jusqu’à la gare du Nord à Paris. Là, on m’a conseillé d’aller à Dunkerque, au centre social, j’ai dit OK. Mais de là-bas, on m’a envoyé à Lille, avec un plan pour aller à la maison d’évaluation de mise à l’abri EMA pour les mineurs. On m’attendait, je me suis présenté et on m’a donné une date pour l’évaluation et un plan pour aller au parc des Olieux, quartier Moulin, arrêt métro Porte d’Arras, pour y passer la nuit, pour me mettre à l’abri. La mise à l’abri, c’est des tentes dans un parc ! Quand j’ai vu ça, j’avais les larmes aux yeux. Je me suis demandé si ce n’était pas une malédiction !
On te donne un plan, une adresse, on te dit va là, que tu saches lire ou pas. On arrive, on ne connaît pas la ville, on est mineur, ils devraient nous accompagner ! Quand j’ai présenté mes documents à EMA, mes papiers, mon attestation du bac au pays, mon certificat de scolarité, j’étais sûr que j’allais être inscrit dans une école, mais ça n’a rien donné. On m’a « invité » à la PAF ! Ils ont pris tous mes documents, je n’ai plus aucune pièce qui justifie mon identité ni de quel pays je viens. La PAF m’a promis de me les rendre après vérification, m’a demandé de revenir les chercher, car c’était de bons papiers. Malheureusement, ils ne m’ont rien rendu. Et je suis toujours dans le parc. On est entre 150 et 200. Certains dorment à l’église. Le Département dit qu’ils aident les mineurs isolés, qu’il nous prend en charge, alors qu’on dort sous des tentes dans un parc ! Sans douche, sans toilette ! Ce sont des conditions inhumaines et déshumanisantes.  Il y a des bonnes volontés qui viennent à notre secours, mais ce n’est pas une vie.
Je suis allé au Département, qui loge les mineurs, pour apprendre son refus. Ils m’ont dit : « j’ai une mauvaise nouvelle pour toi. Le Département ne te prendra pas en charge car tu as reçu un refus d’EMA.  Tu as été évalué majeur par la PAF suite au test osseux. Et dans vos allégations, on ne vous trouve pas mineur. »  Je suis trop mature. Mais dans leur refus, ils ne disent pas que mes papiers ne sont pas bons ! Je viens avec des papiers authentifiés par la Guinée. On me les prend et maintenant que je ne les ai plus, je ne peux aller nulle part. J’ai le sentiment d’être piégé. Je trouve ça triste. J’ai cru qu’en venant en France, avec mes papiers, j’aurais le soutien de l’autorité française.
La dame du Département  m’a dit : « Bon courage ! » Mais du courage, j’en ai pour venir jusque-là, je n’ai pas besoin qu’on me souhaite bon courage.
Je reste optimiste. Un jour ça va aller. Mon objectif c’est de faire des études de droit. Pourquoi le droit ? Je me suis dit : pourquoi nous quittons notre pays ? Parce qu’il n’y a pas un Etat de droit chez nous, ni de justice. Alors je veux avoir une bonne formation pour aider mon pays et la future génération, qu’elle ne soit pas victime comme moi. C’est mon ambition et je vais me battre pour cela.
Vive la justice, vive la liberté et à bas les opportunistes !

Mohammed, 16 ans, de Conakry (Guinée)

Je m’appelle Mohammed, j’ai 16 ans, je viens de La Guinée Conakry. Je suis parti de chez moi depuis novembre 2015, j’ai voyagé 3 mois et je suis à Lille depuis 5 mois. J’ai besoin de raconter  ce que j’ai vécu  de l’Afrique jusqu’à la France.
Beaucoup d’entre nous ont  une vie insupportable en Afrique et  veulent aller à l’école pour étudier.
Mais ils ne peuvent pas par manque de moyens de financiers pour payer  une scolarité mais aussi pour subvenir aux besoins primaires. C’est pourquoi beaucoup d’entre nous ont quitté l’Afrique pour l’Europe. Pour pouvoir étudier, travailler et trouver une meilleure vie. Ce que je veux c’est avoir le droit d’étudier.
Il y a aussi d’autres jeunes  dont les parents sont très méchants avec eux. Les parents les obligent à faire des travaux durs physiquement et les frappent s’ils ne le font pas. Il n’y a pas de machines pour travailler dans les champs. Donc  les jeunes  travaillent à la main pour récolter le riz, les oignons … Si on travaille  dans les champs on ne peut pas aller à l’école. L’avenir est alors tout tracé. C’est pourquoi  on décide de venir en Europe, pour trouver une vie meilleure.
Pour partir il faut traverser les déserts, le Niger, l’Algérie… Des jours sans manger, sans boire d’eau jusqu’au Maroc pour rejoindre l’Espagne ou l’Italie. La traversée se fait avec un passeur et d’autres  gens qui viennent de partout en Afrique. Et pour y arriver il faut traverser la mer ou franchir des grillages ? ce qui coute la vie à beaucoup de monde.
Par exemple, moi qui vous parle, j’ai vu plus de 50 personnes  perdre leur vie sous mes yeux.
Une fois arrivé en Europe on ne trouve pas ce que l’on imaginait. Lorsqu’en Afrique on te dit qu’il y a des gens en Europe qui dorment dehors,  tu ne peux pas les croire. Et surtout lorsqu’ils te disent  que ce sont des mineurs, des mineurs qui ont risqué leur vie pour l’Europe. Tu peux même penser que cette personne est folle car la France est une puissance économique, d’une grande richesse culturelle et c’est un état de droit.
Moi même, une fois arrive ici, j’ai vu que des gens dorment  réellement dehors en Europe. Moi je suis en France à Lille, quartier Moulin, arrêt de métro porte d’Arras. J’ai 16 ans, je dors sous  une tente, dans un square,  avec 150 autres mineurs.
La maire de Lille  et le département du Nord disent dans les médias qu’ils s’occupent des mineurs isolés étrangers. Et pourtant il y en  a qui dorment dehors, dans le  centre ville. Cela fait longtemps qu’ils sont dehors, qu’ils n’ont pas les moyens de trouver à manger, qu’ils n’ont pas passé  une bonne nuit depuis le jour où ils sont arrivés  à Lille.
J’écris ce texte  pour dire où nous sommes et demander de l’aide.
Nous sommes là-bas car nous faisons nos démarches dans la ville et  nous sommes obligés de rester sur les lieux avant d’obtenir la confirmation de la juge des mineurs pour être hébergés et scolarisés.
150 mineurs à prendre en charge, ça ne me semble  pas beaucoup pour le département du Nord. Alors nous, mineurs étrangers isolés,  tendons les mains pour avoir votre aide et votre soutien. Nous avons besoin d’être hébergés et d’être scolarisés pour étudier, avoir ainsi une meilleure vie et réaliser notre rêve. Beaucoup d’entre nous ont un talent  et souhaitent l’exercer. Ils sont  chanteur, footballeur, danseur, musicien, acteur de théâtre…
Moi ce que je veux, c’est être scolarisé, travailler et pouvoir penser à mon avenir. Dans la paix et la sécurité.

Sisko, de Côte d’Ivoire

Après le décès de mes deux parents, mon oncle qui est cultivateur nous a emmenés vivre chez lui mon petit frère et moi. Mon oncle qui n’avait pas eu d’enfants et qui travaillait seul dans son champ a décidé d’interrompre mes études pour que je puisse l’aider. Alors que moi je rêvais d’aller loin dans les études et j’aimais bien l’école. J’ai tout fait pour que mon oncle change de décision, j’ai pleuré, arrêté de manger mais il m’a donné à choisir entre sa décision ou la rue. Pour ne pas me retrouver dans la rue, j’ai décidé de l’accompagner au champ.
On marchait 3 kilomètres pour arriver au champ. 4 mois plus tard, je suis tombé malade et mon oncle a refusé de croire en ma maladie. Je suis resté dans la maison sans traitement médical. Jusqu’au jour  où j’ai croisé le frère d’un ami à qui j’ai expliqué ma situation. Il m’a emmené à l’hôpital puis dans sa famille. Il m’a parlé de sa vie et de son travail en Libye. A la fin de son séjour dans sa famille, je suis parti avec lui. Il m’avançait l’argent du voyage que je lui rembourserais en travaillant.
On a franchi la frontière de mon pays pour atteindre le Burkina Faso et on est rentrés au Niger. Là, on a payé un passeur et on est montés dans un camion pour arriver en Libye. J’y ai  travaillé pour rembourser mon voyage. Quand j’ai eu fini de le rembourser, je ne voulais pas rester en Libye parce que tout le monde, même les enfants de 13/14 ans portaient des armes, couteaux ou pistolets et je ne me sentais pas en sécurité.  Je ne voulais pas retourner chez mon oncle alors j’ai décidé d’avancer vers l’Europe.
J’ai quitté la Libye avec l’aide d’un passeur et j’ai traversé  la mer en zodiac pour arriver en Italie. C’est la marine italienne qui nous a récupérés et  on a passé 3 jours en pleine mer, sans manger avec seulement de l’eau, en attendant que la marine récupère tous les zodiacs.
Arrivé à Naples, je ne comprenais pas la langue et les gens ne me comprenaient pas. J’étais complétement perdu. J’ai rencontré 2 autres jeunes et nous avons décidé de venir en France. Je me disais qu’avec la langue, je pourrais vite m’en sortir et que j’allais avoir une vie normale.
Arrivé à Paris, un jeune qui était avec moi connaissait quelqu’un à Lille hébergé dans un foyer de mineurs. A la gare, On a demandé à quelqu’un de nous prêter son téléphone car on n’avait pas de crédit. Le jeune de Lille nous a envoyé des tickets de bus par internet sur le téléphone.
Arrivés à Lille, il nous a rejoints et nous a indiqué le foyer EMA (Evaluation Mise a l’Abri). Il nous a dit que c’était mieux d’arriver séparément.
Quand je me suis présenté à EMA, ils m’ont mis à la porte car je n’avais pas de document qui justifiait ma minorité.
On m’a indiqué un parc, le parc des Olieux.  J’y ai rencontré d’autres jeunes qui étaient dans la même situation que moi et je suis resté avec eux. Les habitants de ce quartier nous venaient en aide avec des vêtements, de la nourriture. J’ai expliqué mon problème. Ces habitants, on les appelle « Collectif des Olieux ». Ils m’ont demandé si je pouvais contacter quelqu’un qui pourrait m’envoyer le document qu’on me demandait et qu’ils prendraient tout en charge. J’ai donné le contact de mon oncle. Ils l’ont appelé et il ne voulait pas parler de moi parce qu’il n’était pas au courant de mon voyage. Ces gens lui ont parlé et l’ont convaincu d’envoyer le document. Comme lui ne savait pas comment faire pour l’envoyer, le collectif lui a expliqué. Il a envoyé mon acte de naissance.
Quand je l’ai reçu, je me suis à nouveau présenté à EMA. J’ai pu expliqué mon histoire. Ils n’avaient pas de place pour m’héberger, qu’il fallait que je demande une place au Département et que j’aille  à la PAF (Police Aux Frontières) pour vérifier si mon acte de naissance était  authentique.
A la PAF on m’a dit que mon acte de naissance était faux. A ma  question « pourquoi ? »,  on m’a répondu  que je n’avais  pas droit à la parole, que je devais  fermer ma gueule et on m’a mis en garde à vue. Après quelques heures, on m’a envoyé à l’hôpital pour faire le test osseux  sans mon accord. Ensuite on m’a renvoyé en garde à vue en disant que j’avais 19 ans. Un chef me demande si je reconnais que mon acte est faux et que je suis majeur. Lorsque je lui réponds que non,  il me dit de fermer ma gueule , d’arrêter de me foutre de lui et que tous les papiers africains sont des faux, qu’il suffit de brasser quelques billets dans les administrations pour obtenir des faux. Il me demande pourquoi nous venons en France alors qu’ils sont venus maintenir la paix dans notre pays et qu’ils ont perdu des collègues lors de la crise en Côte d’Ivoire. Je lui dis que  nous vivons dans  une ancienne colonie française où on  ne parle que le français, voilà pourquoi nous sommes ici. Il me dit  » pourquoi tu ne vas pas en Belgique, en Belgique on parle français ? Ici, en France, on n’a plus rien, vous les étrangers vous avez tout pris ! ». Il me demande  de signer un rappel à la loi comme quoi  j’ai été mis en garde à vue pour faux et usage de faux et que si je ne signe pas, je ne peux pas sortir. Par peur de rester en garde à vue, j’ai signé le document et on m’a libéré  sans me rendre mon acte de naissance.
J’étais reconnu majeur.
Le collectif m’a guidé pour aller voir une avocate. Il fallait cette fois faire un passeport que le collectif m’a payé, 115 euros. Les semaines passaient : l’ambassade pour avoir le passeport et six semaines d’attente pour l’obtenir ; un  recours en justice avec le récépissé de ma demande  et un refus car il fallait les originaux ; mon passeport une fois arrivé, envoyé à police pour en vérifier l’authenticité, et toujours l’attente .
Enfin  la loi française me reconnaît mineur isolé. 8 mois se sont écoulés depuis ma première visite à EMA.
J’ai attendu encore 3 semaines pour être mis à l’abri.
Je me demande souvent   si c’est moi qui ne suis pas le bienvenu. Je ne suis pas un danger pour la France. Je voudrais seulement pouvoir aller à l’école.
Pourquoi la France ne m’aide t’elle pas à réaliser mes rêves ?…Parce que je suis noir ?… Ou parce que je suis né en Afrique ?
C’est pas moi qui ai choisi de naître en Afrique, c’est pas moi qui ai choisi d’être noir. Si on pouvait arrêter de faire une différence entre les humains,  nous sommes tous pareils. Ce sont des petites choses qui nous différencient.  la couleur ? Le bon Dieu nous a créé de différentes couleurs pour rendre l’humanité plus belle.