L'année 2016

Sommaire
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Calais


La première moitié de l’année 2016 a vu le réseau associatif s’impliquer de manière importante dans des contentieux en vue de soutenir au mieux les exilés vivant dans les camps de la région. Le réseau s’est également trouvé impliqué dans la mise en place du premier camp humanitaire aux normes internationales sur le territoire français, ce qui, nécessairement, entraîne des questionnements et positionnements divers.

A Calais, le gouvernement a, dès le début de l’année 2016, cherché à mettre en œuvre l’expulsion des habitants du bidonville de Calais. Tout d’abord le 19 janvier par la prise d’une décision demandant le départ des exilés vivant sur une bande de 100 mètres tout le long de la rocade portuaire. C’est environ 1000 personnes qui ont alors dû « déménager » leurs abris et affaires personnelles. La grande majorité d’entre elles se sont déplacées sur la zone sud du bidonville.

Or, le 19 février, la Préfète du Pas-de-Calais a pris un arrêté intimant aux habitants de cette « zone sud » de quitter les lieux. Cette décision a alors été contestée par un référé-suspension déposé devant le Tribunal administratif (TA) de Lille par 240 exilés vivant sur le bidonville et 5 associations auxquelles se sont ajoutées 5 associations intervenantes volontaires. Un important travail d’explication et de coordination a été mené avec les associations et les exilés pour qu’un tel recours soit possible. Un travail d’explication auprès des médias et de l’opinion publique a été mené en parallèle. Le 25 février, la juge des référés du TA de Lille a pris une décision autorisant l’expulsion des habitants de la zone Sud du bidonville mais refusant la destruction de ce qu’elle a appelé les « lieux de vie ». Un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat a été déposé par les requérants, mais il a été retiré quelques semaines plus tard après que la destruction du bidonville ait eu lieu. En effet, quelques jours après la décision du TA de Lille, la Préfecture mettait en œuvre l’expulsion en utilisant la force publique. Seuls les constructions dans lesquelles étaient mises en œuvre des actions associatives ou communautaires ont pu être sauvegardées : cuisines communautaires, église, mosquées, écoles, etc. Une partie des habitants de la zone Sud ont pu intégrer les places encore disponibles au sein des containers du « Centre d’accueil provisoire » ou de l’espace réservé aux femmes dans le Centre Jules Ferry. D’autres ont choisi de partir dans les Centres d’accueil et d’orientation répartis à travers la France. Mais la majorité d’entre eux ont simplement déménagé leurs affaires sur la zone Nord du bidonville et se sont installés dans un abri en bois-bâche ou dans une tente. Par ailleurs, les associations estiment à environ 180 le nombre de mineurs ayant disparu au cours de cette expulsion.

Pendant tout le printemps et l’été, la menace d’une expulsion de la zone Nord du bidonville a plané sans qu’aucune information précise ne vienne l’étayer. Il aura fallu attendre le début du mois de septembre pour que les autorités préfectorales et ministérielles indiquent clairement leur volonté d’expulser l’ensemble des habitants vivant dans les abris précaires et tentes du bidonville de Calais.

Entre le mois de mars et septembre 2016, la population du bidonville n’a cessé de croître. Les associations Help Refugees et l’Auberge des migrants ont réalisé mensuellement un recensement avec le soutien des autres associations intervenant à Calais.

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Comme nous pouvons le voir sur ce document extrait du recensement, la population totale vivant sur le terrain jouxtant le Centre Jules Ferry représentait près de 5 500 personnes avant l’expulsion de la zone Sud du bidonville (dont 800 environ dans les containers et 150 dans la mise à l’abri réservée aux femmes). Il y avait près de 7 000 personnes au mois de juillet et plus de 10 000 en septembre.

Cette population est composée d’environ 10% de mineurs dont une grande majorité de mineurs isolés.

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De nombreux acteurs se sont intéressés à la question des mineurs isolés survivant à Calais et dans les autres camps de la région. Le 20 avril, le Défenseur des droits a pris une décision relative à cette population. Il a fait diverses recommandations afin de remédier à l’absence de mise en œuvre de solutions adaptées de mise à l’abri et de scolarisation des mineurs non accompagnés du bidonville. Parmi ces recommandations nous pouvons citer la mise en place :

  • de dispositif d’accueil de jour et de nuit pour les MIE,
  • de dispositif de scolarisation pour les enfants vivant sur le bidonville, mais aussi la mise en place de passerelle permettant une scolarisation des enfants dans les écoles de la ville de Calais
  • de dispositif d’information sur les droits des mineurs isolés, avec des maraudes d’information spécialisées permettant une approche de ce public particulier.

L’Unicef, en partenariat avec l’association Trajectoires, a également produit un rapport sur la situation des mineurs non accompagnés vivant à Calais et dans 6 autres camps de la région Nord Pas-de-Calais et dans le département de la Manche.

Malgré ces demandes auxquelles peuvent s’ajouter des interpellations d’associations intervenant directement sur le terrain (lettre aux ministres, communiqués de presse), peu de choses ont été mises en place à Calais pour cette population. Il faut malgré tout mentionner la création de deux classes au sein du centre Jules Ferry, et le projet, régulièrement reporté, d’ouverture d’un dispositif de mise à l’abri de nuit pour 72 mineurs. Mais ces réalisations ou projets doivent être mis en parallèle avec le nombre de mineurs présents à Calais : en septembre, ils étaient plus de 1000.

Après de nombreuses rumeurs, les autorités ont annoncé, en septembre 2016, l’expulsion imminente du bidonville (abris précaires et dispositifs de mise à l’abri). Là encore, des exilés et douze associations ont contesté cette expulsion faite sans que des solutions adaptées ne soient proposées à tous les habitants du bidonville. Le juge ayant rejeté la requête, l’expulsion a pu avoir lieu à partir du 24 octobre 2016. Il y avait alors environ 7000 personnes sur le bidonville. En effet, les personnes ne souhaitant pas partir en CAO, unique solution proposée, ont préféré quitter Calais avant l’expulsion.

L’expulsion a commencé le lundi 24 octobre sous les yeux des 800 journalistes accrédités par la préfecture. En revanche, les avocats d’Avocats Sans Frontières et les responsables d’Emmaüs et de la Cabane Juridique n’ont pas été autorisés à rentrer sur le camp au titre d’un arrêté du 23 octobre 2016 instaurant une zone de protection autour du bidonville. Cet arrêté, fondé sur l’état d’urgence, a été contesté par plusieurs associations devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille, mais lorsque l’affaire a été audiencée, il avait été abrogé dans la nuit par la préfecture du Pas de Calais. Cette abrogation n’empêchera pas ensuite l’interdiction aléatoire d’entrée sur le bidonville.

Lors de l’opération d’expulsion, 5000 exilés hommes et 400 femmes ont été envoyés dans des CAO répartis sur tout le territoire français. 1900 mineurs ont, quant à eux, été envoyés dans des CAOMI (CAO pour mineurs isolés), structures qui n’entrent pas dans le cadre légal de la protection de l’enfance. De nombreuses associations, militants et bénévoles s’organisent autour des CAO et CAOMI afin d’apporter un soutien aux exilés et un regard citoyen sur ces nouvelles structures d’hébergements. La PSM cherche à connaître et mettre en liens les multiples initiatives. Les associations et collectifs de soutien sont très attentifs à ce que les promesses faites aux exilés par les autorités lors de l’expulsion du bidonville de Calais soient respectées. En particulier la promesse de nonexécution des transferts Dublin pour les personnes pour lesquelles un autre pays européens serait responsable de la demande d’asile. Cette promesse répétée à de nombreuses reprises par le ministre de l’intérieur de l’époque, le directeur général de l’OFPRA et les agents de l’OFII présents sur le site du bidonville lors de l’expulsion, a été violée par de nombreuses préfectures. Les mobilisations associatives ont à plusieurs reprises permis d’éviter l’exécution du transfert.

La fin de l’année 2016 a été marquée par le retour régulier d’exilés dans la ville de Calais. Pour le moment, une centaine de personnes, rarement les mêmes d’un jour sur l’autre, sont croisées quotidiennement par les bénévoles et militants des associations qui effectuent des maraudes. Toute tentative d’installation d’un lieu de vie pérenne par les exilés est détruite dans les heures qui suivent par les forces de l’ordre. Celles-ci très présentes dans la ville de Calais contrôlent et interpellent toutes les personnes ressemblant de près ou de loin à un migrant. Cependant, l’augmentation continue du nombre de personnes présentes à Calais depuis l’expulsion du bidonville laisse supposer la re-création de lieu de vie dans les mois qui viennent.

Grande-Synthe


L’année 2016 a été vécue différemment sur le territoire de la Ville de Grande Synthe. Plus de 2000 exilés (sur)vivaient dans un campement insalubre du quartier du Basroch.

Le Maire de Grand-Synthe en lien avec les associations, et particulièrement avec Médecins sans frontières, a alors souhaité mettre en place un « camp humanitaire aux normes internationales » pour abriter le plus dignement possible les exilés vivant sur sa commune. Dès les premières annonces municipales, il a été clair que ce camp n’avait pas pour vocation de durer et que sa taille devait réduire progressivement. Malgré les difficultés techniques (tempête ayant détruit une grande partie des tentes prévues par Médecins sans frontières) et les bâtons mis dans les roues de la Mairie et des acteurs locaux par les autorités étatiques (commission de sécurité menaçant de ne pas autoriser l’ouverture du camp et obligeant à des travaux supplémentaires), le camp a pu ouvrir au début du mois de mars 2016. A cette époque, environ 1300 personnes vivaient encore dans le bidonville du Basroch et ont déménagé dans le nouveau camp, appelé Camp de La Linière, sans grosse difficulté. La Mairie a décidé à cette époque que ce chiffre de 1300 personnes était la jauge maximale du camp. L’association Utopia 56, ayant l’expérience de la gestion logistique du festival de musique les Vieilles Charrues à Carhaix en Bretagne et s’étant investie depuis quelques mois auprès des exilés de Calais, a accepté de coordonner les activités permettant le fonctionnement du camp.

Malgré son refus initial, l’Etat a été dans l’obligation de reconnaître l’initiative grande-synthoise et en avril 2016 a accepté de financer le fonctionnement du camp. Une convention tripartie a été signée par l’Etat, la municipalité de Grande-Synthe et l’association AFEJI, nouveau régisseur du camp (association intervenant dans le département du Nord et gérant de nombreux dispositifs d’hébergement : maisons d’enfants, CHRS, CADA).

Du mois de mars au mois de juillet 2016, le nombre de personnes vivant dans le camp de Grande-Synthe n’a cessé de diminuer pour atteindre environ 800 personnes en juillet. Les raisons de cette baisse ne sont pas facilement explicable mais on peut oser une hypothèse : à Grande-Synthe, il s’agit d’une population principalement composée de personnes kurdes. Or, à partir du printemps 2016, les possibilités de passer en Europe pour les personnes empruntant la route Turquie-Grèce ont été rendues plus compliquées. Il y a donc moins de kurdes entrant en Europe et donc moins de kurdes arrivant à Grand-Synthe. On peut imaginer que cette situation perdurera jusqu’à ce qu’une nouvelle route migratoire soit créée.

Ceci est un élément intéressant de mise en lumière de l’imposture de la « théorie de l'appel d’air » qui ne cesse d’être utilisée pour refuser d’améliorer l’accueil des exilés de passage. En effet, alors que jusque 2500 personnes survivaient dans un des camps les plus indignes de France, voire d’Europe, l’amélioration des conditions d’accueil loin d’entraîner un afflux vers Grande-Synthe, n’a eu aucune influence sur la présence d’exilés dans cette commune.

Alors qu’en juillet, il était dénombré environ 800 personnes sur le camp, et que les autorités avaient fixé ce chiffre comme le nombre maximum de personnes autorisées, le camp n’a, depuis lors, cessé de grossir dans le contexte de l’expulsion du bidonville de Calais. Il y aurait à ce jour (janvier 2017) 1300 exilés y vivant.

De nombreuses initiatives ont fleuri autour de la création de ce camp. Parmi elles, nous pouvons citer la création d’un point d’information général impulsé par le groupe juridique de Grande Synthe et animé par le Carrefour des solidarités. Ce lieu doit permettre aux exilés d’accéder à l’ensemble des informations utiles à leur vie sur le camp mais aussi dans la ville de Grande Synthe. Par ailleurs, il doit permettre d’orienter les personnes vers les acteurs compétents pour la réponse à des questions individuelles, principalement les questions relatives à leur droit. Deux nouveaux acteurs juridiques se sont installées à Grande Synthe depuis juillet 2016 : la Cimade, et l’Equipe de soutien juridique de Dunkerque . Ils apportent soutien et conseils juridiques aux exilés du camp, notamment aux personnes mineures.

Par ailleurs, alors que la question des Mineurs isolés étrangers présent dans le camp est difficilement appréhendée, il faut saluer l’ouverture des écoles de la commune aux enfants vivant dans le camp. Cependant, la prise en charge des mineurs isolés par les services de la protection de l’enfance du Département du Nord est déficiente. Il ne semble pas pour le moment que des solutions adaptées à la réalité de ces jeunes soient mise en œuvre.

La question qui se pose aujourd’hui est celle de la pérennité de ce camp aux normes humanitaires alors que la convention tripartite (Etat-Mairie de Grande Synthe-AFEJI) doit être renégociée au mois de mars 2017.

Et ailleurs...


Ailleurs dans la région, la politique gouvernementale semble avoir été de chercher à faire disparaître les lieux de vie d’exilés ou de faire comme s’ils n’existaient pas (Angres par exemple).

Les exilés vivant à Dieppe, Cherbourg, Chocques et Steenvoorde ont eu à subir une ou plusieurs destructions de leur lieu de vie. Ces expulsions ont, soit été validées par les tribunaux saisis, soit n’ont pas été contestées par un recours aux juridictions. Les exilés se sont à chaque occasion réinstallés dans un lieu non loin de leur ancien lieu de vie (sauf lors de la seconde expulsion du campement de Chocques, mais pour des raisons extérieures : l’aire de services utilisées par les exilés vivant à Chocques pour essayer de passer en Grande Bretagne est en travaux depuis cet été et donc fermée). Ces réinstallations montrent, s’il fallait une nouvelle fois le prouver, que les expulsions n’ont pour seule conséquence que de précariser toujours un peu plus les exilés.

Lors de certaines de ces expulsions (Steenvoorde, Chocques) les exilés se sont vus proposer, voire imposer, un hébergement dans un centre d’accueil et d’orientation (CAO) quelque part en France. Aucun des exilés vivant à Chocques n’a souhaité entrer dans les bus devant les emmener dans le CAO proposé. Les exilés de Steenvoorde n’ont pas eu le choix (il leur a été indiqué qu’ils avaient le choix entre un hébergement en CAO ou un placement en centre de rétention administrative en vue de leur expulsion vers leur pays d’origine), mais dès que l’occasion s’est présentée, tous sont revenus dans des lieux où ils pourraient poursuivre leur parcours vers la Grande Bretagne. Aujourd’hui, environ 80 personnes sont de nouveau présentes à Steenvoorde.

A Norrent Fontes, les autorités ont d’abord cherché à intimider l’association Terre d’Errance présente au côté des exilés, en lançant une procédure relative au droit de l’urbanisme pour avoir reconstruit une cabane incendiée. Cette procédure a été classée sans suite par le Procureur de Béthune au motif que l’association avait agi « en état de nécessité ». Cependant, en juillet 2016, la municipalité de Norrent-Fontes qui possède l’un des terrains occupés par les exilés depuis 2008 et le propriétaire privé d’un terrain occupé plus récemment ont demandé au Tribunal de grande instance de Béthune de prononcer l’expulsion des exilés du camp. Les exilés de Norrent Fontes ont pu se défendre via leurs avocats devant le TGI de Béthune le 14 septembre 2016, et ils obtenu gain de cause par une décision du 12 octobre 2016 qui rejetait totalement la requêtes de la municipalité et des propriétaires privés. Ceux-ci ont depuis interjeté appel (audience le 28.02.2017 à la Cour d’appel de Douai).

Enfin à Tatinghem, les propriétaires du terrain où sont installé les exilés depuis plus d’une dizaine d’années ont porté plainte contre cette installation illicite en octobre 2016. Une enquête est en cours et une procédure d’expulsion pourrait être engagée au début de l’année 2017.

Point sur les populations présentes dans les camps d’exilés du Nord Pas-de-Calais


Originaires principalement de la Corne de l’Afrique (Erythrée, Ethiopie, Soudan), du Proche et MoyenOrient (Afghanistan, Iran, Irak, Syrie, Palestine, Egypte), d’Asie (Vietnam) et d’Europe balkanique (Albanie), ces personnes ont pour la plupart fui des situations de crises (guerres, régimes politiques dictatoriaux, instabilité politique) ou de contexte de désespérance (société « bloquée » par le chômage, la corruption, des institutions inexistantes, etc…). Dans leur grande majorité, il s’agit d’hommes, plutôt jeunes (entre 20 et 30 ans). Mais de nombreux Mineurs Isolés Etrangers (MIE) sont toujours présents sur les camps.

De plus, des femmes, plutôt jeunes (moins de 30 ans le plus souvent), sont également présentes sur les camps. Leur statut de femmes, conjugué à l’extrême précarité des conditions de vie, les expose à des violences particulières (viols, prostitution).