L'année 2019

Sommaire
WhatsApp Image 2024-06-11 at 09.32.03

L'année 2019 reste marquée à la frontière franco-britannique par les expulsions à répétition au nom de la politique de « lutte contre les points de fixation », ainsi que par le cynisme des autorités face aux interpellations associatives.

1. Des interpellations à de multiples niveaux, mais sans véritables changements sur le terrain


Les associations continuent ainsi à saisir des autorités comme la Rapporteuse des Nations Unies sur le logement, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, le Défenseur des droits, les juridictions administratives et judiciaires, ou encore des associations comme Amnesty International, pour faire valoir le respect des droits. Tout cela sans que de véritables changements sur le terrain n'interviennent. L'Etat répond par l'inaction ou la violence, et les droits fondamentaux des personnes exilées sont toujours déniés à la frontière.

  • Un rapport sur le droit à un logement convenable de l’Organisation des Nations Unies (ONU) pour 2020

Suite à une saisine de 34 associations françaises et britanniques, incluant une invitation à se rendre sur le terrain, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le droit à un logement convenable, Leilani Farah, est venue en France du 2 au 11 avril 2019, avec un passage à Calais le 5 avril. Lors de cette visite, elle a pu rencontrer des associations agissant à Calais et Grande-Synthe, s’entretenir avec quelques personnes exilées et constater la situation de ces personnes à la frontière franco-britannique. Elle a présentéses « observations préliminaires », en vue d’un rapport qui sera publié en 2020 et qui analyse la situation pour une grande diversité de publics à l’échelle de la France (personnes français.es pauvres, personnes migrantes, personnes roms). Dans le chapitre 6 de ces observations préliminaires plus particulièrement consacré à Calais, on lit :

« Les pratiques qui m’ont été signalées par les résidents des camps dans les alentours de Calais constituent une violation systématique et flagrante du droit à un logement convenable en vertu du droit international des droits de l’homme. Elles constituent aussi des violations des droits à la santé, à l’alimentation et à l’intégrité physique. Le caractère systématique et répété de ces expulsions forcées durant la période hivernale suggère qu’elles constituent également un traitement cruel, inhumain et dégradant contre l’une des populations les plus vulnérables de France ».

Si les associations attendent la sortie du rapport, prévue pour mars 2020, force est cependant de constater que les premières observations de la rapporteuse spéciale de l’ONU n’ont pas permis de faire bouger les lignes à ce jour pour les personnes forcées à l’ errance à la frontière franco-britannique.

  • Une décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) sur la maltraitance d’Etat des mineur.e.s isolé.e.s de Calais

Alors que plus d’une centaine de mineur.e.s non-accompagné.e.s vivent toujours dans les différentes « jungles », le 28 février 2019, la CEDH rend un arrêt « Khan c/ France » condamnant l’Etat français au titre d’un traitement inhumain et dégradant (article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme), pour la non-prise en charge d’un enfant de 11 ans, qui a vécu dans la « Jungle » de Calais entre septembre 2015 et mars 2016. Ce travail jusque la CEDH, qui correspond à une situation suivie par la Cabane juridique, aboutit donc à une décision majeure, qui pourra nourrir de nouvelles plaintes. Cependant, en plus d’arriver plus de 3 ans après les faits, cette condamnation internationale semble peser peu face au manque de volonté politique des autorités françaises de faire prévaloir la dignité des personnes, et en l’occurrence des mineur.e.s, sur toute autre considération...

  • Un rapport du défenseur des droits

Le Défenseur des droits a été saisi mensuellement par les associations du réseau à propos des conditions de vie, des expulsions de terrain et des violences policières subies par les personnes exilées à Calais et Grande-Synthe. Il a rendu un rapport relatif à la situation sur ces deux territoires, mais aussi à Paris et Ouistreham, le 14 décembre 2018 intitulé « Exilés et droits fondamentaux, trois ans après le rapport Calais ». C'est un nouveau bilan, qui s’appuie sur une quinzaine de visites sur place et l’instruction contradictoire des réclamations qui lui ont été adressées, incluant l’ensemble des saisines déposées par les associations du réseau. Le Défenseur des droits relève des « atteintes inédites aux droits fondamentaux des exilés », « une vive inquiétude pour le respect des enfants » et adresse des recommandations aux pouvoirs publics.

Les associations qui interviennent quotidiennement sur le terrain se sont félicitées de la teneur de ce rapport qui venait rappeler ce qu’elles dénoncent. L’accueil n'a pas été le même du côté des autorités qui accusent ce rapport de « dramatiser à outrance la situation des réfugiés à Calais », de commettre « une étonnante erreur d'appréciation », de présenter des atteintes aux droits fondamentaux non fondées, et reprochent même au Défenseur des droits de répéter ce que disent les associations comme le ferait un perroquet.

  • Un rapport d’Amnesty International

Dans ce contexte extrêmement contraint, les associations ont également continué à se mobiliser autour d’Amnesty International et de son travail de recherche et de plaidoyer, entamé en 2017, sur le traitement par les autorités des bénévoles « défenseurs et défenseuses des droits des personnes migrantes ».

Dans les suites de l’enquête de terrain menée par les chercheuses d’Amnesty, et avec un travail soutenu des associations du réseau PSM pour rendre compte des difficultés rencontrées par les bénévoles et militant.e.s sur le terrain, un rapport est sorti le 4 juin 2019, annoncé le même jour par une conférence de presse organisée à Calais. Le rapport est intitulé « La solidarité prise pour cible – criminalisation et harcèlement des personnes qui défendent les droits des migrant.e.s et des réfugié.e.s dans le nord de la France ». Dans le même esprit que la vidéo associée « Violences policières à Calais, ce que le gouvernement ne montre pas », le rapport fait état des violations des droits des défenseurs et défenseuses, tout en éclairant celles subies par les personnes exilées dans le Nord de la France, et en replaçant la situation dans son contexte politique. Des recommandations sont adressées aux autorités françaises, à tous les niveaux, locaux, régionaux, nationaux, ainsi qu’à l’Union européenne et au Royaume -Uni, appelant notamment à « reconnaître explicitement la légitimité des personnes qui défendent les droits humains, soutenir publiquement leur travail essentiel au nom des personnes déracinées, et veiller à ce qu’elles puissent travailler sans craindre d’être victimes de violations des droits humains ».

Ces derniers mois, de nouvelles entraves et violences n’en ont pas moins été const atées vis-à-vis des bénévoles et militant.e.s, prenant encore une fois divers visages : des personnes qui observent les opérations d’expulsion des lieux de vie, ce à Calais comme à Grande-Synthe, ont été confrontées à de la brutalité policière. Ces entraves peuvent aussi prendre la forme d’un arrêté municipal, comme celui émis par la ville de Calais le 18 octobre 2019 contre « toutes occupations abusives, prolongées et répétées du centre-ville » jusqu’au 6 janvier 2020. Cet arrêté cible plus particulièrement la distribution de repas dans ces zones et entend y empêcher la présence des personnes exilées alors que la ville s’apprête à accueillir familles et touristes à l’occasion de différentes festivités. Dans cet arrêté, la présence des personnes exilées est ainsi considérée comme pouvant « générer des troubles », « fragiliser la bonne organisation de ces événements » et surtout « porter atteinte à la sécurité des familles et des touristes »…

Pour les personnes exilées, ces politiques de harcèlement et d’invisibilisation menées à différents niveaux ont de lourdes conséquences.

2. Des conditions de survie toujours plus difficiles pour les personnes exilées à la frontière


  • Des violences et expulsions à répétition

Les expulsions des différents lieux de (sur)vie se font de manière répétées, parfois quotidiennes, et s’accompagnent de destruction de biens et d’arrestations arbitraires. C’est ce que documente notamment le rapport produit en juin 2019 par le Human Rights Observers project (HRO), soutenu par six associations du réseau, et intitulé : « Les expulsions de terrain à Calais et Grande-Synthe ». Ce rapport est issu d'un travail considérable d'observation et de compilation des données, qui reste indispensable pour assoir la crédibilité des interpellations menées par les associations, et pour la remise en cause de ces expulsions aux bases légales souvent questionnables.


Recensement actualisé du Human Rights Observers (non-exhaustif)

Nombre de lieux de vie expulsés à Calais en 2018 : 452

Nombre de lieux de vie expulsés à Calais entre janvier et décembre 2019 : 961

Nombre de lieux de vie expulsés à Grande-Synthe entre mai et décembre 2018 : 186

Nombre de lieux de vie expulsés à Grande-Synthe entre janvier et décembre 2019 : 214


A Calais, une plainte interassociative a par ailleurs été déposée contre les destructions et confiscations d’affaires liées à ces évacuations. Mais celle-ci a été classée sans suites par le procureur de Boulogne courant 2018. Trois associations ont décidé de se constituer parties civiles afin de relancer cette plainte auprès d’un juge d’instruction. Ce travail se poursuit et devrait aboutir en 2020.

Sur deux autres lieux de vie, à Steenvoorde et Saint-Hilaire Cottes, les expulsions de terrain se traduisent par des destructions d’affaires personnelles, et sont rendues invisibles par l’absence de bases légales connues, privant les personnes premières concernées de possibilités de recours.

Ailleurs à la frontière, comme à Angres ou Marquion, les expulsions sont menées sur des fondements légaux divers : des ordonnances sur requêtes, des référés mesures utiles demandant l’expulsion en urgence, ou encore des arrêtés municipaux d’évacuation.

L’automne-hiver 2019 a également vu apparaître une pratique d’élagage d’arbres ou de haies : à Calais, les arbres situés route de Gravelines ont été déracinés pour faire place à des grilles ; à Grande Synthe, les arbres du Puythouck, pourtant zone naturelle protégée, ont été taillés drastiquement ; et à Angres, la préfecture du Nord incite les agriculteurs à enlever des haies qui protègent un fossé où (sur)vivent une dizaine de personnes.

A noter également que lorsque ces expulsions conduisent à des « mises à l’abri » en Centres d’Accueil et d’Examen de la Situation Administrative (CAES), les associations ont non seulement à s’inquiéter de la qualité de l’information donnée et du caractère volontaire des départs en bus, mais aussi des conditions d’accueil et d’accompagnement au sein de ces CAES.

Sur les questions d’expulsion de terrain elles-mêmes, et malgré l’expertise dont dispose aujourd’hui le réseau PSM, les défis restent donc importants.

D’un côté, les pratiques des autorités et les procédures juridiques utilisées privent trop souvent les personnes concernées et leurs soutiens de la possibilité d’agir. L’ordonnance sur requêtes, par exemple, se fonde sur le fait que l’huissier en charge de la notification de l’assignation devant le tribunal n’a pas été en capacité d’identifier les personnes à expulser. Or, l’on sait que, souvent, très peu est fait par les huissiers pour qu’ils ou elles soient capables de communiquer avec des personnes qui ne parlent pas français et ne connaissent pas les procédures de l’administration française. Pourtant, la procédure sur requête est une arme redoutable, car elle ne permet pas de présenter au juge les éléments qui pourraient lui permettre de juger de l’opportunité d’une expulsion et, une fois qu’elle est prise, elle permet d’exécuter l’expulsion avec utilisation de la force publique plusieurs fois pour le même lieu.

D’un autre côté, les associations n’en sont pas moins parvenues à engager des contentieux devant les juridictions administratives et judiciaires, grâce à un impressionnant travail d’observation, de collecte d’informations et de mobilisation mené par les bénévoles et militant.e.s sur le terrain. Ça a été le cas à Grande-Synthe et Marquion en 2019. Mais même pour ces contentieux réalisés, tout un ensemble de questions continuent de se poser, que ce soit autour des enjeux d’identification de personnes requérantes parmi les personnes exilées (intérêt pour ces personnes de s’engager, difficultés d’accès à l’information et complexité du système judiciaire, prise de risques) ou de l’énergie déployée par les bénévoles e t militant.e.s pour préparer et nourrir ces contentieux pendant plusieurs mois, pour finalement aboutir à des résultats souvent minimes…

  • Des conséquences dévastatrices sur la santé mentale des personnes exilées

La pluralité des violences subies au quotidien par les personnes exilées (expulsions à répétition, violences policières, absence d’accès aux droits, précarité extrême, etc.) ont d’importantes conséquences sur leur santé mentale. Les alertes au niveau sanitaire et psycho-social se multiplient. Au-delà des blessures et maladies directement liées aux conditions de précarité extrêmes, les bénévoles sur le terrain rapportent de plus en plus régulièrement les témoignages de détresse, d’incompréhension, de souffrances psychologiques des personnes harcelées.

Au moment de déposer une requête au tribunal, le 30 avril dernier, sur les conditions de vie indignes de centaines de personnes à Grande-Synthe, les associations requérantes pointaient ainsi du doigt le sentiment d’insécurité et la peur générés par cette « politique délibérée et systématique de fragilisation » des personnes exilées : « Un sentiment d’insécurité découle de ces situations d’extrême précarité, facteur de tensions qui apparaissent aujourd’hui sur la commune de Grande-Synthe. Ce sentiment est accentué par la crainte d’être expulsé chaque jour de son lieu de vie. En effet, depuis le mois de décembre 2018, les opérations d’expulsion se répètent et s’intensifient. Souvent accompagnées de la destruction des effets personnels, elles précarisent encore davantage ces personnes ».

L’impossibilité de se sentir en sécurité dans ces lieux de survie, la crainte permanente de se faire expulser ou de subir des violences policières, à toute heure du jour ou de la nuit, empêchent toute possibilité de repos, physique comme psychique, et ne peut mener qu’à l’épuisement. Cela impacte d’autant plus fortement les personnes que cette insécurité permanente n’est pas « accidentelle », mais résulte d’une volonté politique de harcèlement et d’épuisement des personnes exilées. Personnes exilées qui, rappelonsle, ont, pour nombre d’entre elles, déjà été confrontées à des tortures et mauvais traitements dans leur pays d’origine et/ou sur la route migratoire.

Face à ces violences quotidiennes, les addictions deviennent parfois le seul recours des personnes pour continuer à supporter, à tenir dans cet environnement hostile. Un article du site d’information InfoMigrants du 22 juillet 2019 reprend ainsi le constat fait par la coordinatrice du programme Nord Littoral de Médecins du Monde : “Cette politique de démantèlements quotidiens n'a aucun sens car les migrants se réinstallent toujours au même endroit (…) Avec le temps, ils sont dans un état d’épuisement extrême et d’incompréhension. On voit chez certains des attitudes de prostration, ils sont aussi plus irritables qu’avant. On rencontre également de plus en plus de cas d’alcoolisation avec pour objectif de s'anesthésier pour ne plus avoir à supporter le quotidien ”. A Calais, certaines associations ont choisi d’organiser cette année des ateliers de prévention sur les questions d’alcool et de drogue, en lien avec le CSAPA (Centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie). Mais les bénévoles et militant.e.s sur le terrain se sentent largement démuni.e.s face à ces souffrances qui ne sont pas seulement physiques et matérielles, mais aussi sociales et psychologiques. Face à ces enjeux de santé mentale légitimes, les prises en charge étatique sont, une fois de plus, absentes, l’accès aux soins étant quasi-inexistant pour ces personnes en transit.

Les arrestations et placements en rétention génèrent également leur lot de souffrances. Un avis a été rendu en février 2019 par la Contrôleuse Générale des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) qui fait des recommandations concernant la prise en charge sanitaire des personnes retenues, notamment la prise en charge en santé mentale. L’avis fait état des nombreuses souffrances constatées dans les centres de rétention, notamment des tentatives de suicides. Deux centres de rétention administrative existent dans le Nord-Pas-de-Calais : Coquelles près de Calais, et Lesquin près de Lille. Les bénévoles du réseau PSM essayent de s'organiser pour soutenir les personnes en rétention, notamment en assistant aux audiences du Juge des libertés et de la détention à Coquelles ou à Lille, en rédigeant des communiqués de soutien aux personnes risquant d'être renvoyées et en visitant les personnes au sein des Centres de Rétention Administrative (CRA).

Si les conséquences sur la santé mentale des personnes exilées de ces politiques migratoires se constatent quotidiennement sur le terrain depuis déjà de nombreuses années, elles demeurent sous-estimées et ne sont toujours pas prise en considération par l’État.

  • Des conditions de passage toujours plus difficiles

Enfin, les personnes exilées se retrouvent bloquées face à une frontière de plus en plus cadenassée, les obligeant à prendre toujours plus de risques pour la franchir.

D’un côté, la perspective du Brexit fait craindre une difficulté accrue pour les personnes souhaitant franchir la frontière légalement, notamment sur le fondement des dispositions du règlement Dublin III et des possibilités offertes de réunification familiale.

Parallèlement, les tentatives de passages en bateau par la Manche et de la Mer du Nord se sont multipliées en 2019. Au 30 août 2019, alors que les ministres de l’Intérieur français et britanniques discutaient d’un éventuel appui financier supplémentaire pour « juguler » ces traversées et renforcer encore les dispositifs de contrôle et de surveillance, 1473 personnes avaient déjà tenté leur chance de cette manière, selon les chiffres de la préfecture maritime de la Manche et de la Mer du Nord.

En réponse à cet accroissement, une campagne du Ministère de l’intérieur intitulée « Aidez-nous à sauver des vies » est apparue dans les journaux locaux et régionaux du Nord-Pas de Calais dès juin et jusque fin août 2019, appelant les citoyen.ne.s à signaler les mouvements de personnes sur les plages ou les achats de pneumatiques qui semblent « suspects ». Plusieurs associations, bénévoles, et un avocat du réseau se sont indigné.e.s de cette campagne considérée comme « un appel à délation hypocrite, odieux et insupportable » à travers un communiqué de presse signé par 18 associations.

  • Une frontière qui continue de tuer

Des personnes continuent de disparaître et de mourir à la frontière franco-britannique. Au moins 9 personnes sont mortes depuis le début de l’année 2019, tuées par la frontière franco-britannique… ( Sur ce difficile recensement des personnes mortes et disparues à la frontière franco-britannique, en plus du travail réalisé par Calais Migrant Solidarity, voir aussi le travail de Maël Galisson : http://timeglider.com/timeline/65ecd96fa599a9c6). Et 39 autres ont été retrouvées mortes le 23 octobre dans un camion à Essex, au Royaume Uni. Face à cela, des personnes exilées, associations et habitant.e.s, essayent tant bien que mal de ne pas laisser ces morts être également invisibilisées.

A Calais, un rassemblement se tient ainsi « traditionnellement » en centre-ville, le lendemain de chaque décès à la frontière.

Le 12 avril, toujours à Calais, un rassemblement s’est tenu en mémoire des personnes mortes aux frontières, cette fois « à l’initiative de personnes exilées, rescapées de traversées périlleuses, et d’habitant.e.s et de bénévoles ». Près de 200 personnes se sont ainsi retrouvées sur la plage de Calais. La prise de parole d’un de ces rescapé.e.s se terminait ainsi : « Aujourd’hui est un jour pour se souvenir de nos frères et de nos sœurs qui ne sont plus parmi nous. Aujourd’hui nous honorons, leur mémoire, leur histoire. Maintenant il faut que l’Europe se rende compte que nous sommes vivants en reconnaissant ceux qui sont morts ».

Le 20 août, 19 associations signaient un communiqué de presse suite à la disparition tragique, le 9 août, d’une femme, suivie par le Refugee Women’s Centre à Dunkerque, ayant tenté le passage sur une embarcation de fortune. Elles y réclament l’ouverture de voies légales et sûres pour se rendre en Angleterre.

*****************************************************************

Au final, en 2019, les membres du réseau PSM ont multiplié à la fois les niveaux et les formes d’interpellation afin de dénoncer les violations des droits des personnes exilées, dans un contexte où des politiques d’invisibilisation et de fragilisation des personnes restent menées de manière systématique par l’Etat français, et trop souvent par les municipalités concernées également.

Force est de constater que certaines lignes n’ont pas bougé -- autant sur le principe de liberté de circulation que sur l’accès à un hébergement digne et adapté pour toutes et tous --, tandis que d’autres ont été bousculées, mais souvent de manière trop précaires : des expulsions déclarées illégales ou reportées, la reconnaissance de certains traitements inhumains et dégradants par la justice, un accès garanti aux dispositifs sanitaires et à une information claire, etc.

Face à cela, plusieurs membres du réseau PSM constatent aujourd’hui un épuisement des bénévoles et militant.e.s, mais ne s’en laissent pas compter pour autant : certaines énergies sont réinvesties dans un travail de plus long terme de sensibilisation, d’autres cibles à interpeller sont envisagées, des alliances s’ébauchent à d’autres échelles pour produire un plaidoyer plus fort. A noter également que l’année 2019 a été marquée par de stimulantes formes d’auto-organisation et de passage à l’action de personnes exilées, ainsi que par l’expérimentation de nouveaux espaces de discussion et d’action entre associations et personnes exilées. Nous développerons tout cela dans la suite du rapport.

Voyons tout d’abord comment la situation à la frontière franco-britannique se décline plus concrètement à l’échelle de chaque configuration locale

3. A l’échelle locale : déclinaisons de la frontière et résistances


Angres - Liévin


Entre 2010 et mai 2018, ce sont des personnes vietnamiennes qui étaient présentes à Angres, aux abords de l’autoroute menant à Calais. Suite à l’expulsion et la destruction définitive de leur camp, le 3 mai 2018, les personnes sont parties, recréant des lieux de vie ailleurs dans le Pas-de-Calais (voir ci-dessous). A Angres, depuis fin août 2018, ce sont désormais plutôt des personnes soudanaises qui sont présentes. D'abord installées sur un camp près d'une station essence appartenant à la SANEF, détruit en novembre 2018, plusieurs d’entre elles ont ensuite occupé des maisons vides sur la commune de Liévin. Elles ont été expulsées de ces maisons le 14 mai 2019, en vertu d'une ordonnance sur requête obtenue par le propriétaire privé, ne permettant donc pas aux personnes occupantes de se défendre. Les associations avaient adressé un courrier au préfet lui demandant de ne pas octroyer le concours de la force publique pour cette expulsion du squat de Liévin. Ce courrier est resté sans effet.

Depuis, la situation de ces personnes est encore plus précaire, puisque de nouveau forcées à l’errance. Pour soutenir ces personnes en errance, un collectif inter-associatif a été créé et se relaie pour assurer repas, chargement des téléphones et douches.

Calais


A Calais, de manière paroxystique, le quotidien des personnes exilées est marqué par l’intensification des expulsions et la multiplication des clôtures et des murs. Selon le collectif Human Rights Observers, 1003 expulsions auraient ainsi eu lieu entre août 2018 et septembre 2019. Ces expulsions, une fois encore, s’accompagnent de destruction des affaires des personnes et d’arrestations, comme le dénonce notamment cette lettre ouverte, rédigée par des habitant.e.s des camps et 8 associations du 12 septembre 2019, alors que venaient d’avoir lieu une expulsion massive des lieux de vie de près de cent personnes.

Parallèlement, pression et surveillance s’accroissent partout : sur les plages pour empêcher les tentatives de traversée de la Manche et de la Mer du Nord, comme en ville. En février 2019, de nouvelles grilles sont érigées autour du rond-point de la zone Marcel Doret, pour empêcher les personnes exilées de s’y réfugier. En face, et au même moment, était érigé un mur anti-intrusion de 3 mètres de haut autour de la station essence Total, ce mur, qualifié de « mur de la honte », visant à empêcher les personnes exilées de s’approcher des camions qui s’y arrêtent.

Forcées à l’errance et maltraitées quotidiennement, les personnes exilées sont contraintes de prendre de plus en plus de risques. Le 2 mars, une centaine de personnes se sont ainsi organisées pour tenter le passage en Angleterre à bord d’un ferry. Si elles sont parvenues à s’introduire dans l’enceinte du port, elles ont ensuite vite été réprimées : 63 personnes ont ainsi été interpellées, 30 placées en rétention avec délivrance d’Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) et une personne, considérée comme « meneuse » a écopé de 4 mois de prison ferme en comparution immédiate.

Suite à cette violente répression au port, à la déportation de plusieurs personnes placées en CRA, ainsi qu’à une expulsion massive, se voulant définitive, de la zone des Verrotières le 12 mars 2019, certaines personnes exilées et leurs soutiens, réuni.e.s au sein du « Collectif Appel d’air », ont appelé à un rassemblement. L’objectif était de dénoncer les violences et la politique de harcèlement, revendiquer leur droit à la libre circulation, à l’installation et à l’hébergement inconditionnel, à la dignité et à la liberté d’expression, ainsi que la suppression immédiate des mesures Dublin qui touchent la plupart des personnes présentes et les condamnent a l’errance en Europe. Le 31 mars, place d’Armes, plus de 150 personnes répondaient à l’appel.

Des membres du « Collectif Appel d’air » rencontrent également la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le logement convenable lors de son passage à Calais le 6 avril.

C’est ce même collectif qui organise le 8 mai à Calais « la Marche des oublié.e.s », dans le prolongement de l’arrivée, le même jour, du « relais solidaire Vintimille-Calais » organisé par l’Auberge des Migrants. Une vidéo regroupe les différentes revendications portées par les organisateurs et organisatrices : fin des violences policières, fin des expulsions, suppression de Dublin III, stop à la criminalisation des personnes exilées, aux déportations, aux murs et aux grilles, reconnaissance et excuses pour les personnes mortes aux frontières européennes. Cette marche, qui passe à proximité des différents campements des personnes exilées pour se terminer au centre-ville de Calais, devant le Parc Richelieu, mobilise environ 300 personnes et est ponctuée de différentes prises de parole par des personnes exilées. Si ces mobilisations ont été des succès, le collectif qui les porte s’épuise également progressivement et, pour l’instant, il n’y a pas eu de nouvelles actions de cette ampleur.

Le 20 juin, à l’occasion de la Journée mondiale des réfugié.e.s, quelques personnes exilées ont, cette fois, tenu une conférence de presse pour alerter sur la situation et les injustices vécues au quotidien par les personnes exilées.

Certains ont également souhaité, en tant que premiers concernés, pouvoir rencontrer directement et régulièrement le préfet du Pas-de-Calais et sous-préfet de Calais à l’occasion des rencontres organisées avec certaines associations. C’est l’objet d’une lettre ouverte envoyée le 23 juillet 2019. Mais la réponse des autorités a été négative, arguant de questions de représentativité et d’objectivité...

Du côté des associations, les relations avec les divers niveaux de pouvoir restent compliquées. Plusieurs associations continuent à faire des remontées des dysfonctionnements sur le terrain lors des réunions en sous-préfecture, mais sont de plus en plus frustrées par la surdité, pour dire le moins, des autorités présentes. D’autres se sont également mobilisé.e.s auprès du Département du Pas-de-Calais pour alerter sur la situation des MNA dans le Calaisis. Alors que la prise en charge des mineur.e.s sur le terrain reste plus que problématique, il faut cependant noter que de nouveaux espaces de dialogue et de coordination sont en train de voir le jour, en lien avec les associations prestataires d’Etat et le département. Une expérimentation dont il faudra évaluer les résultats dans les mois à venir.

Quant au dialogue avec la mairie, l’acharnement continu de la mairesse à exclure les personnes exilées de la ville et à rendre les associations responsables d’un prétendu « appel d’air », le rend tout bonnement impossible. Ce 31 octobre, les associations calaisiennes, appuyées par de nombreuses autres associations du réseau PSM et par des acteurs nationaux, comme la Fondation Abbé Pierre, dénonçaient ainsi, par voie de communiqué de presse, ce nouvel arrêté municipal stigmatisant les personnes exilées et cherchant à interdire leur présence en centre-ville tout au long de festivités censées attirer familles et touristes…

Quelques semaines plus tard, dans son jugement du 16 décembre 2019, le tribunal administratif de Lille annulait trois décisions prises par la mairie de Calais les 2, 6 et 9 mars 2017, dans le but, à l’époque, d’empêcher les distributions de nourriture aux exilé.es, alors qualifiées « d’occupations abusives, prolongées et répétées » dans la zone industrielle des Dunes, sur le site du Bois Dubrulle et au niveau de la place d’Armes. Il s’agit d’une importante décision pour les associations.

Cherbourg


Entre 20 et 30 personnes, essentiellement afghanes et pakistanaises, survivent à la rue ou dans un squat à Cherbourg. Parmi elles, des mineur.e.s qui cherchent à se rendre en Angleterre.

Le 13 mars dernier, l’association Itinérance Cherbourg convoquait une conférence de presse pour dénoncer les dérives de la loi asile et le durcissement des conditions d’accueil et de la situation des personnes exilées. Elle y appelait à une manifestation publique le 16 mars. Le 13 juin, c’est une « nuit dehors » qui est symboliquement organisée pour dénoncer à nouveau le fait qu’une quarantaine de personnes demandant l’asile, dont des familles avec enfants, ne sont pas hébergées. Itinérance Cherbourg a chiffré à cette occasion ce que coûterait un accès digne à un logement social pour ces personnes, face à ce que coûtent le non-accueil ou les solutions d’hébergement indignes.

Dieppe


A Dieppe, le nombre de personnes exilées bloquées à la frontière a fortement diminué, ce qui a poussé l’association Itinérance Dieppe, créée en 2016 alors qu’il y avait près de 200 personnes, à modifier ses activités : arrêt des maraudes régulières, des distribution de repas sur le port et des permanences, et mise en place d’une permanence téléphonique destiné à toute personne en situation de migration arrivant à Dieppe, ou déjà présente et se trouvant en situation d’urgence ou en difficulté. Cette permanence téléphonique reçoit plusieurs appels par semaine et permet de donner, selon les besoins : nourriture, tentes, couvertures, vêtements et conseils… Tout récemment, ce sont ainsi plusieurs personnes kurdes arrivées à Dieppe que l’association essaye d’appuyer.

Parallèlement, les bénévoles ont recentré leurs activités sur l’accueil et le suivi des mineur.e.s non accompagné.e.s, dont le nombre a fortement augmenté dans la ville de Dieppe.

Grande-Synthe


Depuis que le camp du site de La Linière a brûlé en avril 2017, les personnes exilées de Grande-Synthe – aujourd’hui majoritairement des personnes kurdes, afghanes ou pakistanaises -- ont été expulsées de nombreux lieux de vie, dont beaucoup, de façon permanente.

En décembre 2018, le protocole d'accord signé entre la mairie, la communauté urbaine de dunkerque et la préfecture, afin d'organiser l'accueil, n’ayant pas été respecté par cette dernière, la mairie ouvre un gymnase, destiné aux hommes seuls et aux mineurs uniquement. Les familles sont, elles, accueillies dans un ancien centre aéré au cœur du Puythouck, qui a été fermé en mai 2019.

Très rapidement, plus de 200 tentes sont installées autour du gymnase. De nombreuses autres personnes campent dans les champs, et dans les bois autour de la ville, principalement dans la réserve naturelle du Puythouck. Un groupe de personnes pakistanaises est particulièrement visé par la police.

Depuis décembre 2018, les expulsions sont devenues plus récurrentes au Puythouck, ayant lieu jusqu’à trois fois par semaine. Pendant ces opérations menées par les forces de l’ordre, tentes, bâches, sacs de couchage et affaires personnelles des exilé.e.s sont endommagées ou confisquées, et aucune solution alternative d’hébergement n’est proposée, exacerbant des conditions de vie déjà difficiles.

Fait marquant de cette année 2019 : c'est la première fois que le juge administratif a été saisi de la situation à Grande-Synthe. Tandis que les associations continuent de dénoncer les opérations d'expulsion qui se multiplient au Puythouck, souvent dans un cadre légal pour le moins "indéterminé", avec des ordonnances sur requête difficiles à obtenir, le juge administratif et les médias ont été sensibilisés à la situation grande-synthoise par deux contentieux importants :

  • En mars 2019, le juge administratif a rendu une décision très favorable, en déclarant l’expulsion du camp de 600 personnes du 19 septembre 2017 illégale. Le tribunal administratif de Lille a tranché avec une décision déclarant illégale l’utilisation des lois anti-terroristes pour octroyer la force publique, mais aussi en rappelant qu’une mise à l’abri ne peut être proposée « qu’avec le consentement exprès des migrants, selon des modalités bien précises, et sans contrainte », ce qui n’était pas le cas lors de cette expulsion. Pour une remise en contexte de cette décision, voir le communiqué de presse associatif publié au moment de l’audience le 5.02.2019.
  • Un référé liberté a abouti à une première décision défavorable en mai 2019 au tribunal administratif de Lille. Les deux personnes exilées et les 9 associations requérantes ont fait appel de cette décision devant le Conseil d’Etat, qui a condamné le 21 juin la préfecture du Nord, en parlant, s’agissant de l’hébergement, de « carence manifeste de l’État » ; il enjoint au préfet du Nord d’installer des dispositifs sanitaires et des maraudes d’information sur l’hébergement dans les langues principales des personnes exilées occupantes.

Les toilettes, douches et points d'eau ont été effectivement installés en juillet 2019 ; pour les maraudes d’information avec des documents traduits, il a fallu attendre fin août, en irrespect de l’ordonnance du Conseil d’État qui fixait un délai d’une semaine.

Suite aux élections européennes, en juin 2019, le maire Damien Carême, élu député européen, laisse la place à un membre du conseil municipal, Martial Beyaert. Celui-ci rencontre rapidement les associations mobilisées auprès des personnes exilées à Grande-Synthe, mais décide de « faire confiance à l’État » sur une mise à l’abri. Dès le 17 juillet 2019, le sous-préfet de Dunkerque annonce ainsi en réunion que le gymnase sera expulsé sur base d’un arrêté municipal pris par le nouveau maire.

En août 2019, la mairie de Grande-Synthe dépose au tribunal administratif de Lille un référé « mesures utiles », demandant au juge l’expulsion du gymnase et de ses alentours (Le référé a été placardé sur la porte du gymnase sans qu’aucune information n’ait été faite aux personnes habitantes. Le rapport d’huissier indiquait qu’il n’avait pas réussi à parler avec les occupant.e.s de terrain, ceux-ci « ne parlant ni ne comprenant le français » ; à ce titre, la mairie de Grande-Synthe a demandé à ce qu’il n’y ait pas de contradictoire. Les associations et les personnes exilées n’ont eu que 3 jours pour rétablir le principe du contradictoire avec 5 personnes exilées requérantes et 3 associations en intervention volontaire). Le tribunal rend une décision d’expulsion le 4 septembre. Le gymnase et ses alentours sont expulsés le 17 septembre, avec retrait des dispositifs sanitaires – douches, toilettes, points d’eau – installés par la préfecture aux abords du gymnase suite au référé liberté de juin.

Dès le lendemain de l’expulsion, des familles arrivaient à Grande-Synthe pour la première fois ou y revenaient. Installées dans les bois, leur nombre a rapidement augmenté, allant jusqu’à 500 personnes en octobre 2019, dont une trentaine de familles avec des enfants en bas âge, et une centaine de mineur.e.s non accompagné.e.s.

Un problème majeur s’est très vite posé : l’accès à l’eau manquait cruellement aux personnes, les associations ayant dû urgemment interpeller les autorités municipales, à l’aide de courriers, de flyers distribués au marché, de manifestations devant la mairie de Grande Synthe et la Communauté urbaine de Dunkerque, et d’une réunion avec un membre du cabinet du Maire

D’autre part, le mois de novembre 2019 a été particulièrement éprouvant : 31 évacuations ont été comptabilisées par Human Rights Observers sur le mois, ainsi que des arrestations de masse visant à contrôler les identités des personnes (30 personnes étant arrêtées en même temps tous les jours ; certaines étant arrêtées jusqu’à 3 fois par semaine). Les personnes étaient emmenées dans différents commissariats : Calais ou Coquelle, Dunkerque, Lille, Laon Plage. Constatant des pratiques contraires aux droits fondamentaux ou au droit commun suite aux arrestations de masse, notamment la pose de bracelets numérotés, les associations ont été amenées à saisir la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) et le bâtonnier du Barreau de Lille s’agissant du commissariat de Lille.

Si les personnes étaient majoritairement dans les bois du Puythouck, cette politique de harcèlement a amené les personnes à trouver d’autres lieux de vie informels : à la fin 2019, jusqu’à 400 personnes (hommes seuls, familles avec des enfants en bas âge, MNA) (sur)vivaient sur le site de la Linière dans des hangars désaffectés.

Aujourd’hui, au-delà de la benne à ordures et des quelques robinets d’eau réinstallés au Puytouck par la mairie, sous la pression des associations, c’est un nouveau recul pour les droits fondamentaux des personnes exilées qui survivent à Grande-Synthe.

Marquion


A Marquion, des personnes exilées de nationalité vietnamiennes étaient installées depuis octobre 2018 sur la commune de Sauchy-Cauchy, suite à l’expulsion et la destruction du camp d’Angres le 3 mai 2018. Elles sont soutenues par le Collectif Cambrésis pour l’Aide aux Migrants et par le Collectif Fraternité Migrants Bassin Minier 62, qui ont créé des liens solides avec les personnes, ponctués de moments de fêtes et de repas sur le camp.

Le propriétaire du terrain, Voies Navigables de France (VNF), a entamé des démarches d’expulsion du terrain avec un dépôt de plainte à la gendarmerie dès novembre 2018, puis a demandé l’expulsion. Malgré la réactivité des personnes exilées et des bénévoles, qui a permis qu’une avocate puisse défendre les droits des occupant.e.s de terrain et que deux personnes exilées puissent assister à l'audience, une nouvelle audience de référé « mesures utiles » a eu lieu en juillet 2019 et une décision d’expulsion a finalement été rendue le 2 août 2019.

Les collectifs ne se sont pas pourvus en cassation, puisque la décision d’expulsion était exécutoire au bout d’une semaine, et n’allait pas empêcher l’exécution de la mesure ; en revanche, le Collectif Cambrésis pour l’Aide aux Migrants a contacté VNF propriétaire du terrain et la préfecture afin de demander un délai supplémentaire « pour que les personnes puissent partir dignement » sans intervention des forces de l’ordre. Un délai négocié de 1 mois a été accordé : le 13 septembre, ne restant que 6 personnes vietnamiennes, le Collectif Cambrésis pour l’Aide aux Migrants, sous le regard mais sans l’intervention de la gendarmerie, de la préfecture, d’un huissier, et du propriétaire VNF, a démonté le camp e t a hébergé les personnes le temps qu’elles trouvent d’autres lieux de vie choisis.

Le 4 juin 2019, une opération de l'OCRIEST (Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et l’emploi d’étrangers sans titre) avait eu lieu sur le camp, fa isant suite à un reportage de la BBC sur les réseaux d’exploitation qui empruntent les routes migratoires du Vietnam jusqu’au Royaume Uni. Quatre personnes ont été poursuivies pour aide au passage. Une personne a été relâchée, les trois autres ont pris des peines de prison de 3 mois, 10 mois, et 12 mois.

Le Collectif Cambrésis pour l’Aide aux Migrants poursuit son soutien auprès de ces personnes incarcérées avec des visites en parloir, et continuent à maintenir un lien avec les personnes qui habitaient sur le camp.

Norrent-Fontes et le Béthunois


A Quernes, quelques hommes exilés qui espèrent franchir la Manche sont toujours présents. Le camp où ils vivent a pris la succession du camp de Norrent-Fontes qui a été expulsé en septembre 2017.

Les bénévoles de l'association Terre d’errance qui intervenaient à Norrent-Fontes et Quernes, se sont beaucoup tourné.e.s vers le soutien à une centaine de personnes hébergées dans les locaux de l’Hébergement d'Urgence pour Demandeurs d'Asile (HUDA) de Fouquières-lès-Béthune. L’association a mené de nombreuses actions de dénonciation des interpellations à domicile, ayant lieu au sein de l’HUDA, de personnes demandant l’asile dubliné.e.s assigné.e.s à résidence, ou encore des arrestations directement en préfecture.

Depuis novembre 2018, un camp d’une vingtaine de personnes vietnamiennes s’est également créé dans une forêt à Fouquières les Béthunes. Les bénévoles de Terre d’Errance Norrent-Fontes y interviennent régulièrement. Une personne mineure a pu être extraite du camp en juillet 2019 avec l’aide de l’association.

Des personnes sont également revenues entre Norrent-Fontes et Saint Hilaire Cotes (près du parking, point de passage). Elles vivent dans des fossés et ont leurs affaires (dont leurs sacs de couchage, leur nourriture) détruites en leur absence. Les bénévoles de Terre d’errance Norrent-Fontes ont, pendant des mois, essayé de comprendre qui étaient les donneurs d’ordre de ces opérations, afin d’établir leurs bases légales. Le 6 novembre, une opération plus importante a démantelé le lieu de vie des 7 personnes, réalisée par la gendarmerie locale, avec un hélicoptère survolant la zone. Les bénévoles ont découvert à cette occasion que le maire avait produit un arrêté municipal anti-bivouac, daté du jour, qui n’a pas pu être contesté.

Au sein de l’association Terre d'Errance Norrent-Fontes, un hébergement solidaire se met en place pour les personnes exilées qui n'ont aucun abri. Mais la volonté reste de continuer à demander à l’État l'ouverture d'hébergements d'urgence et à interpeller sur la faible, voire la non-prise en charge de ces personnes par les services de L’État et le dispositif de droit commun du 115.

Ouistreham


A Ouistreham, les personnes exilées bloquées à la frontière franco-britannique et laissées à la rue sont majoritairement d'origine soudanaise, souvent mineures ou jeunes majeures, pour la plupart sous le régime de Dublin. Ces personnes étaient environ au nombre de 180 en novembre 2018, puis 130 en janvier 2019. On compterait aujourd’hui entre 40 et 50 personnes à Ouistreham.

Le 6 novembre dernier, des personnes vivant sur un rond-point ont été réveillées par la police, qui a usé de gaz lacrymogène et de violences physiques contre elles. Une manifestation associative a eu lieu l’aprèsmidi même en soutien aux victimes de ces violences.

Les relations avec la mairie sont également compliquées : celle-ci a notamment refusé la demande d’abri formulée par les associations pour leurs distributions. Le maire vient par ailleurs d’être condamné (en juillet 2019) pour avoir personnellement et abusivement verbalisé les véhicules de bénévoles venant distribuer vêtements et nourriture aux personnes exilées survivant dans les bois. Une plainte a également été déposée contre lui pour les propos à caractère raciste tenus alors que la police judiciaire lui signifiait sa mise en cause dans l’affaire des contraventions.

Le Collectif d’Aide aux Migrants de Ouistreham (CAMO) a mis en place un réseau d’hébergement solidaire mais, comme dans beaucoup d’autres lieux, les bénévoles impliqué.e.s s’épuisent. Ponctuellement, et notamment pendant l’hiver, des communes avoisinantes mettent des locaux à disposition : c’est le cas du maire de Colleville qui a laissé la gestion de son gymnase au CAMO comme accueil de nuit pendant une semaine de grand froid en mars 2018. L’hiver dernier, et de nouveau cet hiver, c’est le maire de Lion-sur-Mer qui a organisé un hébergement sur sa commune.

Steenvoorde


En 2008, n'arrivaient dans ce petit village flamand que des personnes érythréennes. Aujourd’hui, Terre d'Errance Steenvoorde accueille aussi des personnes éthiopiennes et soudanaises. Les conditions d’accueil se sont durcies : il n’y a plus de terrain municipal pour l’hiver et interdiction de l’accueil de nuit pour les personnes vulnérables dans la salle paroissiale. L'aire de repos est fermée depuis mars 2017. La nuit, plus aucun lieu n’est toléré, les implantations (installations de tentes, de bâ ches) sont systématiquement supprimées. L’errance nocturne est devenue la règle.

Grâce à un partenariat Terre d’Errance / Secours Catholique qui loue le local au diocèse, l’accueil de jour perdure malgré la volonté des autorités de fermer ce lieu. La salle est ouverte de 8h à 20h. Cela permet aux personnes migrantes de se poser, d’être à l’abri. Les associations permettent aux personnes exilées de se nourrir, de se vêtir, de se doucher, d’être soignées et de se sentir accueillies, écoutées et considérées. Il y a actuellement une dizaine de personnes. Des cours de français sont aussi proposés par le Secours Catholique.

Tatinghem


En 2006, un campement abritant des personnes migrantes s’était installé sur les communes de Longuenesse et Saint Martin lez Tatinghem. En décembre 2017, les occupants de ce camp étaient expulsés à l’aide d’arrêtés municipaux pris par les maires des deux communes concernées. Ces arrêtés prononçant la destruction du camp avait été contestés par des personnes exilées. Ils laissaient 72 heures aux personnes pour quitter le camp. Une audience en référé avait eu lieu devant le juge administratif, mais celui-ci avait autorisé l'expulsion. Il n'y a plus de personnes présentes sur le camp depuis l'expulsion. Pourtant, le 18 juin 2019, le Tribunal administratif de Lille a finalement jugé que les maires étaient incompétents pour prendre l’acte et que l’expulsion avait eu lieu sans base légale valable. Le jugement est à consulter ici. Cette décision, si elle est symboliquement importante, pose là encore la question de l’utilité de l’action juridique, bien trop lente.