L'année 2021
Le contexte d’action de la Plateforme des Soutiens aux Migrant.e.s a comme localisation les territoires sur lesquels sont situées ses associations membres :
Les évènements marquants de l’année 2021 pour le réseau de la Plateforme des Soutiens aux Migrant.e.s sont liés au contexte politique incertain en lien avec le Brexit, mais qui va encore dans le sens d’une externalisation toujours plus marquée de la frontière britannique en France.
Des coups de projecteurs médiatiques ont égrené l’année 2021 :
- en janvier, la lacération des tentes à Grande Synthe, dévoilée sur les réseaux sociaux, et documentée par des journalistes empêchés de travailler en janvier,
- ou encore la grève de la faim entamée par 3 militant.e.s en octobre qui a mis en lumière le harcèlement quotidien des personnes exilées à Calais,
- et surtout le naufrage dans la Manche qui a coûté la vie à au moins 27 personnes le 24 novembre, ce qui dresse un bilan lourd fin 2021 d’au moins 41 personnes mortes en une année des conséquences des politiques menées à la frontière.
En arrière-plan du battage médiatique, et des mobilisations citoyennes, le contexte politique s’est traduit sur les différents lieux de (sur)vie par une dégradation toujours plus nette de l’accès aux différents droits fondamentaux des personnes exilées, y compris en ce qui concerne la réponse aux besoins les plus essentiels que sont, par exemple, un accès (suffisant) à l’eau ou encore à un hébergement inconditionnel. Au cours de l’hiver 2020-2021, des hébergements d’urgence ont été proposés aux personnes exilées uniquement à Calais par les autorités étatiques, avec une ouverture « au thermomètre », puisqu’il s’agissait de l’ouverture du Plan Grand Froid. Aucune solution inconditionnelle n’apparaît en anticipation de l’hiver fin 2021 non plus.
Plusieurs facteurs sont à considérer dans cette aggravation de la situation, et notamment :
- La poursuite des politiques de lutte contre les points de fixation se traduisant par l’expulsion des lieux de (sur)vie, avec la systématisation par les autorités des destructions, condamnant les personnes à la fuite et l’errance ;
- La surenchère politique du côté français, comme du côté anglais, autour de renégociations d’accords bilatéraux et, plus largement dans la perspective du Brexit ;
- Une frontière toujours plus cadenassée, qui continue à tuer les personnes qui tentent de la traverser, que ce soit par camions, ou encore par voie maritime en petits bateaux, phénomène qui n’a fait que s’amplifier depuis 2018.
Les associations jouent toujours plus un rôle palliatif face aux besoins humanitaires générés par ces politiques hostiles. Elles ont, pour autant, maintenu des interpellations collectives auprès des autorités, parfois en subissant des entraves fortes à leurs actions de la part des mêmes autorités.
1. Un contexte politique peu enclin à des améliorations pour les personnes soutenues par le réseau de la PSM
- La fin de période de transition du Brexit au 31 décembre 2020 : des annonces inquiétantes, des incertitudes sur le sort des personnes exilées et des conséquences néfastes pour le réseau
La fin de période de transition du Brexit a laissé la place début 2021 à des inconnues sur le sort des personnes exilées bloquées à la frontière franco-britannique. Trois situations sont particulièrement préoccupantes du côté français :
- Le sort des mineur.e.s isolé.e.s étranger.e.s et l’avenir de la réunification familiale : la réunification familiale permet de proposer aux enfants une voie sûre et légale de passage. Fin 2021 et toujours courant 2022, il n’est toujours pas connu quel système fonctionnera pour que les mineur.e.s isolé.e.s puissent, via une demande d’asile réalisée avec l’appui de la protection de l’enfance et de l’ONG Safe Passage, demander une réunification familiale vers le Royaume Uni. Jusqu’ici, et jusqu’à la fin de la période de transition du Brexit fin 2020, le régime du Règlement Dublin prévoyait cette possibilité, déjà moins avantageuse qu’un amendement appelé Dubs au Royaume Uni, et qui fonctionnait jusqu’en 2019-2020. A priori, ce serait la Convention de Genève de 1951, qui serait le nouvel instrument permettant cette réunification familiale, toutes les modalités concrètes en droit interne britannique restent donc à définir à partir de cette base légale internationale.
- Les annonces publiques du Home Office tout au long de l’année 2021 de restreindre le droit d’asile sur son sol, et en premier lieu de procéder à des refoulements des personnes arrivant « irrégulièrement » sur le territoire du Royaume Uni, inquiètent particulièrement, comme dans cet article de Mediapart en date du 15 septembre.
- Le Ministre de l’intérieur en France n’est pas en reste sur des propositions inquiétantes puisque dès le début de l’été 2021, il proposait que l’agence européenne Frontex, agence décriée pour des pratiques de refoulement et de violations des droits des personnes exilées aux frontières de l’Union européenne, vienne « sécuriser » la frontière par des opérations de surveillance de la Manche. Dans un article du 10 octobre sur France Info , il indique avoir “reçu l'assurance du directeur de l'agence européenne de surveillance des frontières Frontex que cette dernière serait "au rendez-vous" d'ici "la fin de l'année" pour aider à quadriller la zone, notamment via une surveillance aérienne. ». Dont acte : dès le 2 décembre, un avion Frontex dépêché du Danemark patrouille le long du littoral du Nord/Pasde-Calais, et effectue une surveillance non seulement des côtes, mais survole également les lieux de (sur)vie des personnes pour repérer les mouvements de départ des personnes exilées...
Par ailleurs, un nouvel accord transmanche prévoit que le Royaume Uni donne plus de moyens financiers pour que la France poursuive le travail de militarisation de la frontière. Le dernier accord signé en juillet 2021, instaure le doublement des effectifs policiers le long du littoral et le renforcement des moyens de surveillance côté français, contre une participation financière britannique de 62,7 millions d’euros. Pour un aperçu de l’ensemble des accords d’externalisation de la frontière britannique sur le sol français, voir ici, une frise en ligne, réalisée par Maël Galisson, qui retrace la chronologie des traités successifs.
L’une des grandes inconnues était le sort réservé aux personnes parvenant au Royaume Uni, ce à quoi a pu répondre par exemple un article d’Infomigrants, le 18 juin 2021 et cela en s’appuyant notamment sur la compilation d’informations et de recherches de Loan Torondel dans un rapport intitulé : Exilés à la frontière britannique : recherche sur les tentatives et les traversées de la Manche par voie maritime, 2018- 2021. L’article fait état du contexte dans lequel les personnes exilées en transit arrivent au Royaume-Uni.
Dès leur arrivée, les personnes sont amenées à Douvres, au sein d’un site, le Tug Haven, dénoncé dans plusieurs rapports de l’inspection royale britannique des prisons, pour ses très mauvaises conditions d’accueil. Les personnes sont réparties dans divers lieux d’hébergements, pour la plupart des lieux de détention court-terme, à partir desquelles elles réalisent leurs demandes d’asile.
Puis, elles sont dispersées dans des lieux d’hébergement dans tout le Royaume-Uni, aux conditions de vie très disparates, avec une aide de 40 euros par semaine. Débute alors la longue attente des entretiens et de la réponse administrative, qui peut durer des années.
Les mineurs non-accompagnés bénéficient quant à eux d’un accompagnement avec des travailleurs sociaux au sein de centres d’accueil spécifiques. Néanmoins, les centres étant saturés, certains font face à une durée d’attente de plus de 72 heures après l’arrivée en bateau au Royaume Uni. Le Défenseur des droits de l’enfant britannique avait alors dénoncé des délais de transferts trop longs, laissant "des enfants qui ont survécu à une traversée dangereuse en bateau […] patienter pendant près de 72 heures dans une unité de détention sans accès à des douches ou à des lits, en attendant que les travailleurs sociaux d'un autre comté viennent les chercher"[1].
Ce système, avec ses nombreux dysfonctionnements, est en passe d’évoluer de façon très préoccupante à travers le« Nouveau Pack pour la migration ». Il s’agit de nouvelles réformes, proposées en avril 2021, qui tendent à durcir le système d’asile et à criminaliser les personnes rejoignant le Royaume-Uni. A travers ces réformes, il est prévu que celles qui entrent irrégulièrement sur le territoire britannique reçoivent un nouveau statut de protection temporaire plutôt qu'un droit automatique au séjour. Elles seront régulièrement réévaluées en vue de leur expulsion du Royaume-Uni. Elles auront des droits limités en matière de regroupement familial et n'auront aucun recours aux fonds publics, sauf cas exceptionnel. Le nouveau statut temporaire sera au maximum de 30 mois. Les personnes bénéficiant du statut temporaire sont censées quitter le Royaume-Uni dès que possible.
Ces propositions témoignent d’un durcissement des politiques migratoires vers toujours plus d’hostilité envers les personnes cherchant l’asile au Royaume-Uni, participant à la politique publique déjà mise en œuvre de création d’un « environnement hostile » pour les personnes immigrées. S’il est encore tôt pour évaluer l’impact pour les personnes de leurs potentielles mises en œuvre dans les mois et années qui viennent, ce paradigme politique alliant sécurité-hostilité-migration-criminalité a déjà eu des conséquences néfastes dans l'écosystème associatif de Calais et de Grande-Synthe.
Entre autres, après des « pressions » du Home Office, l’un des principaux financeurs britanniques d’organisations et de projets à Calais, Choose love - anciennement Help Refugee - a pris la décision de se retirer complètement du littoral français. Cette décision prend effet fin décembre 2021 et met en péril près d’une dizaine d’associations, fragilisant un peu plus l'écosystème associatif, et les membres du réseau. Nous y reviendrons par la suite.
- La commission d’enquête parlementaire sur les migrations en France : beaucoup d’attente, et un constat sans équivoque sur les violations des droits des migrant.e.s
Une commission d’enquête parlementaire (CEP), dont le titre entier indique qu’elle porte « sur les migrations, les déplacements de population et les conditions de vie et d’accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France » a vu le jour en 2021. La création de cette commission fait suite aux revendications des associations y compris celles des associations formant une Coordination aux trois frontières intérieures (la CAFI, composée d’Amnesty, de la Cimade, de Médecins du Monde, de Médecins Sans Frontières et du Secours catholique), pour qu’un contrôle parlementaire s’exerce sur les politiques menées à l’égard des personnes en exil, notamment sur les violations de leurs droits.
Le 10 juin 2021, 11 député.e.s de cette commission se sont déplacé.e.s à Calais, ont d’abord rencontré la Police aux frontières et la préfecture, puis les personnes exilées et les associations. Les personnes exilées ont pu exprimer à 3 député.e.s les violences policières qu’elles subissent. Un autre groupe de député.e.s a accompagné Human Rights Observers à la Ressourcerie (où les personnes exilées sont censées pouvoir récupérer leurs affaires après les expulsions de terrain lors desquelles elles leurs sont confisquées). Dans le cadre de la Commission plaidoyer de la PSM, les député.e.s ont pu bénéficier d’une lecture en avantpremière du rapport de Pierre Bonnevalle qui porte sur les 30 ans d’analyse des politiques publiques à la frontière et d’éléments d’analyse issue de l’enquête auprès des personnes exilées de Marta Lotto, avant leur parution.
L’analyse des parlementaires sur les situations documentées était très attendue par les acteurs associatifs - malgré le mandat plus général de la commission que celui souhaité d’un focus sur les violations des droits aux frontières. Le rapport de la CEP a paru le 10 novembre 2021, le président de la commission s’est exprimé dans les médias en indiquant que « La France est dans une maltraitance d’Etat » envers les migrants sur son sol. Il a déploré, notamment dans cet article de presse : « C'est aux frontières que les dysfonctionnements sont les plus visibles, les plus exacerbés. À Calais, on a l'impression que c'est une battue de sangliers, quand on va évacuer les campements. ». Le ministère de l’Intérieur a contesté à l’Assemblée nationale les conclusions de la commission.
A la suite de cette parution, une table ronde a eu lieu le 2 décembre à Paris, co-organisée par la Coordination d’Associations aux Frontières Intérieures (CAFI – Coordination composée d’Amnesty France, la Cimade, Médecins du Monde, Médecins sans Frontières, et le Secours catholique) et à laquelle la PSM a participé en tant qu’intervenante afin de présenter les rapports de la commission plaidoyer. Les vidéos de ce séminaire sont à disposition en ligne.
- Des rapports d’institutions ou d’ONG de défense des droits humains qui dénoncent la situation
Un avis rendu par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) le 11 février 2021
A la suite de leur déplacement des 15 et 16 décembre 2020 pour rencontrer les personnes exilées, les autorités publiques et les associations sur Calais et Grande Synthe, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme a publié un avis paru le 11 février 2021. Dans celui-ci, « la Commission recommande aux autorités publiques de mettre un terme à la politique sécuritaire dite « zéro point de fixation », aux conséquences désastreuses pour les personnes exilées et les aidant-e-s. La CNCDH rappelle également la nécessité de mettre en place un « socle humanitaire » à Calais évoqué par le Président de la République pour répondre aux besoins les plus essentiels des personnes exilées. Enfin, à l’issue d’une trentaine de recommandations, la CNCDH souligne la nécessité de mettre en place, dans les négociations post-Brexit avec le Royaume-Uni, une protection internationale des personnes exilées ».
Un rapport de Human Rights Watch publié le 7 octobre 2021
Issu d’une documentation et d’entretiens réalisés depuis déjà 1 an à la frontière, Human Rights Watch a publié un rapport en octobre 2021, intitulé « Infliger la détresse : Le traitement dégradant des enfants et adultes migrants dans le Nord de la France » dans lequel l’association documente et dénonce les opérations répétées d’expulsions massives, le harcèlement policier quasi-quotidien et les restrictions pesant sur la délivrance d’aide humanitaire et sur l’accès à cette aide, mis en place par les autorités dans le but de forcer les personnes à partir ailleurs, sans que cela ne résolve leur statut migratoire, l’absence d’abri, ou empêche de nouvelles arrivées.
3. Une constante dégradation des conditions de (sur)vie des personnes sur les Jungles sur l’ensemble de la frontière
a. Des conditions de vie difficiles, aggravées par des expulsions de terrain et violences d’Etat qui touchent tous les lieux de vie sur le littoral
Les conditions de vie sur l’ensemble des territoires de la frontière sont particulièrement dégradées, avec une insuffisance de l’action des pouvoirs publics. Ces conditions de (sur)vie sont aggravées par des expulsions de terrain qui touchent strictement tous les lieux habités dans le cadre de ce que le gouvernement français nomme « la lutte contre les points de fixation ». Ces expulsions, véritables violences d’État, sont constitutives de traitements inhumains et dégradants pour les personnes exilées.
Angres
Une dizaine de personnes Soudanaises survit toujours dans un fossé en zone rurale, soutenus par différentes associations, particulièrement une bénévole de l’association Debout ensemble, qui se relaient pour leur apporter des biens de première nécessité. Une action de l’Agence régionale de Santé (ARS), est mise en place auprès du campement, répondant à des besoins médicaux importants des personnes sur place.
Calaisis (Coquelles, Calais, Marck)
À Calais, sont présentes ou de passage des personnes de nationalité Soudanaise, et du Sud-Soudan, Erythréenne, Ethiopienne, Somalienne, Tchadienne, Afghane, et Iranienne et de façon plus minoritaire, des personnes en provenance de Turquie, du Kurdistan iranien, du Liban, du Pakistan, du Koweït, du Yémen, de Syrie, d’Egypte, mais aussi du Niger, du Nigeria, du Maghreb, et d’Afrique de l’Ouest.
Les personnes (sur)vivent sur des lieux de vie informels, toujours dans des conditions de vie très précaires, avec un harcèlement et un contexte de violences systémique. Demeure la même régularité des expulsions des lieux de vie toutes les 48 heures avec destructions ou prise des effets personnels, en parallèle d’expulsions de plus grande ampleur lors desquelles les personnes sont contraintes de monter dans des bus. Il n’y a pas de proposition adaptée d’hébergement en parallèle, les CAES étant la seule réponse que proposent les autorités, structures ne correspondant pas aux besoins des personnes. Reste le 115 pour quelques nuits, sans qu’aucun hébergement inconditionnel ne soit proposé en hiver, seulement mi-janvier le Plan Grand Froid a été déclenché, pour quelques nuits seulement.
A force d’expulsions en 2020 de toutes les personnes habitants sur la Zone Industrielle des Dunes, les personnes ont été poussées à l’errance en centre-ville. Le 19 janvier a eu lieu la première expulsion en centre-ville de l’année, sous les ponts. Des arceaux à vélo ont été installés pour empêcher ces personnes de revenir, puis remplacés par des poteaux en fer. Le 6 avril également ; ont eu lieu six opérations d’expulsion de grande ampleur en centre-ville sans proposition de mise à l’abri concomitante. Voir le communiqué de presse des associations. Le 9 avril, ce sont les ponts Georges V et Freycinet, sous lesquels survivent des personnes exilées qui ont été expulsés.
Les contentieux inter-associatifs sur les expulsions continuent. Dans une décision rendue le 6 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer se déclare incompétent pour trancher sur la légalité de l’expulsion du 29 septembre à Calais. L’information est à retrouver sur Passeurs d’hospitalités et franceinfo hauts de france. Le vendredi 26 mars 2021, le Tribunal administratif de Lille a rejeté la requête de la Commune de Calais concernant l'expulsion du site dit de BMX où (sur)vivent près de 200 personnes d'origine érythréenne. Cette victoire est une première, et elle a permis d’empêcher, la destruction totale du lieu de vie. Lire le communiqué de la Cabane juridique qui revient sur le déroulé de l’audience. Pour autant, les expulsions toutes les 48 heures ont repris la semaine qui a suivi, ne respectant en aucun cas la décision de justice.
Deux mois plus tard, un référé « mesures utiles » de la mairie de Calais pour expulser sous un pont a eu gain de cause au tribunal administratif de Lille le 20 mai, le tribunal ordonnant aux occupant-e-s de libérer les lieux sans délai.
Tout au long de l’année, en parallèle des expulsions, les associations ont observé une hausse des violences policières. « Ces violences se passent généralement la nuit, la plupart du temps au moment des tentatives de passage, donc personne ne les voit », explique à InfoMigrants la coordinatrice de l’association Utopia 56 à Calais.
Des violences survenues dans la nuit du 1er juin au 2 juin sur le campement de BMX entre les personnes exilées et les policiers ont particulièrement été relayées dans la presse qui s’est empressée de parler des policiers blessés, sans mentionner l’utilisation massive de LBD, de gaz lacrymogène et de grenades de désencerclement qui ont causé des blessures aux personnes exilées, dont la parole n’a pas été relayée. Le lieu de vie dit « Unicorn » à la friche Magnesia a été expulsé et les hangars démolis, voir ici un article de Nord Littoral qui relate l’expulsion. Les associations indiquent que suite à cette expulsion sans réelle solution, elles ont constaté les jours suivants des retours multiples à Calais de familles avec des enfants en bas âge qui se retrouvent à la rue, et ont des refus de prise en charge par le 115 tous les soirs.
La politique d’expulsions et de violences se double d’une politique de saisie des tentes et affaires personnelles. Tentes, duvets, affaires personnelles… sont, en théorie, stockés et peuvent être récupérés à la « Ressourcerie ». Dans les faits, huit à dix tonnes d’affaires finissent chaque mois à la poubelle. Reportage à lire dans Reporterre. Le collectif Human Rights Observers et la Cabane Juridique ont mené des campagnes de dénonciation de ce système qualifié de « vol ».
À Coquelle, dans le Calaisis, une expulsion de campement a eu lieu le 30 mars autour de l’ancien magasin Conforama. Des roches ont été posées tout autour de la surface abritée du bâtiment afin de décourager toute tentative d’installation. Voir l’article de La Voix du Nord.
Le 27 avril, une nouvelle fois, 110 habitant.e.s de terrain ont été expulsé.e.s sans respect de leurs droits. Lire à ce sujet l’article de Passeurs d’hospitalités. Ensuite « ce terrain a été mis à nu, en y arrachant tous les arbres et arbustes, tout près d’un sentier de randonnée et de la base de voile de Sangatte. Le but ? Empêcher les exilés d’y trouver un abri précaire, et permettre de les pourchasser plus aisément ! Comme pour les zones de dunes de la Jungle, les bois de la zone du tunnel, du Fort Nieulay, de la route de Gravelines… ». A retrouver dans ce communiqué de presse de Europe Ecologie Les Verts, Salam et l’Auberge des Migrants.
Enfin, ce sont aussi de nouvelles grilles érigées aux abords de l’A16 à hauteur de Coquelles, là où des personnes tentent de monter dans des poids lourds bloqués dans la bretelle d’accès menant au tunnel sous la Manche en traversant l’A16.
A Marck, le campement « Old lidl »qui était occupé en majorité par une vingtaine de mineurs non accompagnés Afghans depuis plusieurs années a connu fin avril une rixe importante entre la communauté Afghane et la communauté Soudanaise, ce qui a provoqué le départ des Afghans de ce lieu pour le lieu de vie situé dit « Hospital ». Fin juin, les Afghans sont définitivement partis s’installer à Grande Synthe. La communauté Soudanaise est venue s’installer au lieu de vie dit « Old lidl . 300 à 400 personnes Soudanaises ont établi leur lieu de vie sur cette friche, qui jouxte des voies ferrées et la zone de Transmarck où stationnent les poids lourds. Le 28 septembre, alors qu’un habitant de ce lieu décédait d’un accident avec un camion à proximité des parkings de la zone Transmarck, une expulsion d’ampleur du lieu de vie a eu lieu. A la suite de ce décès, les proches de la personne et la communauté ont décidé d’organiser une manifestation dans Calais ; tandis que 3 citoyen.n.e.s ont entamé une grève de la faim. Les associatifs et solidaires de Calais, de concert ont bloqué une expulsion, qui marquait la millième expulsion de l’année à Calais. Le même 4 novembre, un nouvel accident tue un homme et blesse deux autres personnes habitants du lieu de vie. Cet accident génère des réactions en chaîne : La Vie Active, l’association mandatée par l’Etat pour les repas et l’accès à l’eau ne vient plus distribuer sur le lieu, tandis qu’une douve est creusée,un talus érigé, empêchant les camions de se garer et les arrêtés préfectoraux qui interdisent les distributions des associations indépendantes incluent les deux rues concernées de façon à empêcher les associations de venir en soutien des personnes exilées. Les expulsions du lieu de vie sont intensifiées en novembre et jusque décembre, quitte à mettre en danger les personnes : les repas étant distribués en même temps qu’ont lieu les expulsions, pour y parvenir les personnes sont forcées de traverser les voies ferrées pour quitter le périmètre de sécurité sous les yeux de la police qui refuse de les laisser passer par la route.
1226 expulsions dans le Calaisis en 2021 (chiffres de Human Rights Observers).
Cherbourg
En 2021, entre 20 et 30 personnes Afghanes (sur)vivent dans un campement aux marges de la ville, sans aucune prise en charge par L’État. Le 5 février, l’association Itinérance Cherbourg a invité différents élu.e.s à venir se rendre compte de la situation de ces personnes, comme le relate cet article.
Grande-Synthe
Dans le Dunkerquois, sont présentes ou de passage des personnes majoritairement d’origine Kurde irakienne ou Kurde iranienne, de nationalité Iranienne, Afghane, Pakistanaise, Vietnamienne et de façon plus minoritaire, des personnes en provenance du Koweït, du Yémen, de Syrie.
Les personnes (sur)vivent l’hiver 2021 majoritairement dans la forêt du Puythouck, et dans le hangar de l’Ancienne Sécherie. Malgré la neige et des températures négatives, le plan Grand froid n’a pas été activé par la préfecture du Nord, le sous-préfet de Dunkerque assume « le choix fait dans le Nord de ne pas ouvrir de gymnase ou de grande salle qui créerait des points de fixation ». Et les opérations d’expulsions et destructions d’abris hebdomadaires se sont poursuivies. Autre atteinte aux droits des personnes notable, dès le 8 janvier 2021, des associations dénoncent des contrôles au faciès par les forces de l’ordre à l’entrée du centre commercial Auchan, à proximité du lieu de vie du Puythouck et du hangar de la Sècherie, aboutissant à empêcher les personnes exilées d’accéder au centre commercial. A retrouver ici le communiqué de presse inter-associatif dénonçant ces pratiques discriminatoires.
Le vendredi 16 avril 2021, la ville de Grande Synthe, les agents des services techniques de la ville, et la police municipale, au moyen d’un tracteur tirant une benne et divers engins de chantier, initient un déplacement des personnes exilées qui (sur)vivent sur différents campements du Puythouck vers un terrain à proximité de la Ferme des Jésuites – le Prédembourg.
Les personnes ont été contraintes de placer leurs affaires personnelles dans une benne, sans être informées sur l’objet du déplacement de leur lieu de vie, ni sur la destination. Le point d’eau, unique accès à l’eau potable à proximité des campements de la forêt du Puythouck, a été déplacé sur le nouveau terrain par les agents de la municipalité. Par conséquent, les personnes exilées n’ont pas eu d’autre choix que de se déplacer pour conserver l’accès à l’eau courante.
Aucun document n’a été préalablement communiqué aux personnes exilées pour les avertir de la planification ou de l’objet de cette opération et aucune information adaptée ne leur a été proposée pendant l’opération. Malgré une rencontre avec la mairie de Grande Synthe quelques jours auparavant, les associations qui viennent en soutien aux personnes exilées à Grande Synthe n’ont pas été concertées en amont, de manière à pouvoir s’organiser pour continuer à soutenir au mieux les personnes concernées. Elles ont dénoncé cette opération via un communiqué de presse inter-associatif.
Suite au déplacement organisé mi-avril par la mairie des personnes exilées du Puythouck au petit Prédembourg (une autre zone naturelle derrière la Ferme des Jésuites), des expulsions ont lieu à un rythme hebdomadaire des différents campements. Une mobilisation associative sur le terrain du petit Prédembourg pour empêcher une expulsion des lieux de vie a eu lieu le 12 mai.
Une opération d’ampleur a eu lieu le 23 septembre : tout le site du Prédembourg a été visé par une expulsion y compris la clairière centrale qui était épargnée les dernières semaines. Les forces de l’ordre ont d’abord forcé toutes les personnes à sortir de la zone et à se diriger vers un autre champ. Une d’équipe de « nettoyage » avec tractopelles a ensuite détruit absolument tout ce qui se trouvait sur le site du Prédembourg : toutes les tentes, tous les abris, et a jeté toutes les affaires personnelles que les personnes exilées n’avaient pas eu le temps de prendre avec elles. Voir ici le communiqué de presse de Human Rights Observers et Utopia 56.
Le 16 novembre, les autorités ont procédé à l’évacuation totale du campement situé derrière la Sécherie entraînant le déplacement forcé des personnes et de nombreux départs sous la contrainte en Centre d’Accueil et d’Examen des Situations (CAES). Après plusieurs heures d’errance sur la commune, les personnes exilées ont finalement été « guidées » vers un nouveau lieu, encore plus éloigné de tout, situé sur la commune de Loon-Plage. Là, elles sont désormais plus de 300 à survivre dans des conditions indignes, sans même un accès à l’eau potable. Les communes se renvoient désormais la responsabilité quant à la mise à disposition d’un accès à l’eau, la mairie de Grande-Synthe affirmant qu’elle n’a pas la compétence d’installer un point d’eau sur une autre commune. Les conditions de survie rappellent tristement le camp du Basroch (un lieu de vie a existé dès 2008 jusque 2015 au Basroch) à ses débuts et donnent l’impression d’un profond retour en arrière. Ainsi, le seul accès à l’eau potable est assuré par l’association Roots qui amène 2000 litres d’eau chaque jour. Les exilé∙e∙s sont éloigné∙e∙s de tout, l’arrêt de bus le plus proche se trouvant désormais à plus de 30 minutes à pied.
Tout au long de l’année des vastes opérations d’expulsions et de destructions ont eu lieu. Les associations dénoncent « un matraquage psychologique » pour chasser les migrants. Lors de ces expulsions, les entraves aux observateurs des droits humains ou aux journalistes sont nombreuses et les forces de l’ordre multiplient les moyens d’intimidations.
61 expulsions dans le Dunkerquois en 2021 (chiffres de Human Rights Observers).
Ouistreham
40 à 80 personnes Soudanaises (sur)vivent dans les bois, le long du canal de Ouistreham, à proximité du port. L’hiver 2021, entre 15 et 30 personnes séjournent de nouveau à Tailleville, le centre ouvert par la préfecture du Calvados lors du 1er confinement en mars 2020, à une quinzaine de kilomètres de Ouistreham. Ceux qui vivent à Ouistreham dépendent complètement des associations indépendantes pour l’eau, les repas, l’accès aux soins, etc.
Le 2 mai, l’Assemblée générale de lutte contre toutes les expulsions de Caen a inauguré deux nouveaux squats à Ranville, aussi le long du canal, invitant les personnes exilées qui le souhaitent à venir s’y reposer et bénéficier de l’accès à l’eau. Voir l’article ici. Le tribunal judiciaire a accordé, le 3 juin, un délai de deux mois pour évacuer les lieux.
Le 2 juin 2021, les forces de l’ordre sont venues remettre aux habitants une requête de référé « mesures utiles », consistant en une procédure expéditive aux fins d’expulsion du campement. L’audience a eu lieu le 9 juin 2021 à 11h au tribunal administratif de Caen, invitation était faite à se rassembler devant le tribunal en soutien aux personnes exilées, une petite centaine de personnes était présente.
Concernant le squat de Ranville, dédié aux mêmes personnes exilées de Ouistreham, le tribunal judiciaire a accordé, le jeudi 3 juin, un délai de deux mois pour évacuer les lieux.
Le 29 juin, la demande d’expulsion par le propriétaire du terrain sur lequel (sur)vivent les personnes soudanaises, a été rejetée par le tribunal administratif de Caen. Le juge des référés a rejeté en indiquant que le tribunal administratif n’était pas compétent, estimant que la parcelle, sur laquelle est installé le campement, ne relève pas du domaine public. Un pourvoi a été formé devant le Conseil d’État par le propriétaire, qui poursuit la procédure administrative tendant à les expulser.
En juillet, les membres du réseau associatif de Ouistreham ont lancé une alerte d’expulsion vers le Soudan pour une personne qui habitait sur le campement, plus d’informations et la pétition adressée au préfet du Calvados ici.
Le 19 octobre au matin, les deux maisons squattées à Ranville sont encerclées par les forces de l’ordre déployées en nombre pour expulser ses habitants (neuf jeunes demandeurs d’asile soudanais originaires du Darfour et un mineur non accompagné). Sept d’entre eux ont été emmenés en car sans explication aucune vers un centre d’hébergement pour 4 d’entre eux et vers un hôtel pour 3 d’entre eux.
Le 6 décembre, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi du propriétaire du terrain sur lequel est le campement à Ouistreham, toujours au motif que la juridiction administrative n’est pas compétente, le terrain étant privé.
Le Béthunois (Saint Hilaire Cottes, Quernes)
A Quernes, toujours quelques tentes présentes avec deux personnes exilées qui se maintiennent sur le campement créé après l’expulsion du campement de Norrent Fontes en 2017.
Sur le secteur de Saint Hilaire Cottes, le nombre d’exilés présents, majoritairement des Erythréens, semaintient à 12. Ils sont hébergés chez des bénévoles de Terre d’errance tous les week-ends. De façon aléatoire, et liées à un arrêté anti-bivouac, des interventions de la gendarmerie ont lieu pour les chasser de ce secteur. Le 13 avril, il y a eu encore une expulsion, toujours sans solution. Les tentes ont été confisquées, et l’expulsion a été vécue très violemment par les personnes du fait du grand nombre de gendarmes. Les personnes ont vécu en 2021 beaucoup d’événements hostiles : le vol de leurs cantines qui protégeaient la nourriture et leurs affaires, des accrochages avec des fermiers et des chasseurs, etc.
Le campement sur lequel survivaient les Vietnamiens a été évacué en 2021.
Steenvorde
A Steenvorde. toujours un accueil de jour pour les personnes en transit.
b. Une liste lancinante de personnes exilées mortes ou disparues à la frontière et des actions des solidaires en soutien aux victimes et en réaction aux politiques mortifères
Dans cette région frontalière, les politiques nationales et européennes continuent douloureusement de tuer. Les personnes qui décèdent à la frontière sont nombreuses, les temps de commémoration se suivant semaine après semaine depuis l’été 2021, rendant insupportable chaque nouvelle information sur une personne disparue ou décédée. Le nombre qui suit ne peut que chiffrer partiellement, mais tente de parler des personnes qui sont encore portées disparues ou ont perdu la vie du fait des politiques nationales et européennes de fermeture des frontières. En 2021, 41 personnes migrantes sont mortes à la frontière franco-britannique. Huit personnes sont également toujours portées disparues. La majorité des victimes sont décédées du fait de noyades survenues dans le détroit du Pas-de-Calais.
Ce constat démontre, une fois de plus, que l’obstination des autorités française et britanniques à vouloir « rendre impraticable » cette route migratoire ne fait que pousser les personnes exilées à prendre plus de risques via des tentatives de passage toujours plus dangereuses. Le franchissement par l’Eurotunnel étant quasi impossible, le passage caché·e dans un camion toujours compliqué, ne reste alors que la tentative par voie maritime pour espérer rejoindre le Royaume-Uni. Au cours de ces tentatives, tous les moyens sont bons pour essayer de franchir le détroit : depuis le 12 novembre 2021, trois personnes sont portées disparues après avoir tenté de traverser le Channel avec un kayak.
Parmi les 41 personnes mortes en 2021 se trouvent notamment les victimes du terrible naufrage du 24 novembre 2021 qui a fait 27 victimes, originaires pour la plupart du Kurdistan irakien, mais également d’Afghanistan, d’Iran, d’Ethiopie, de Somalie, d’Egypte et du Vietnam. Cet évènement a donné lieu à une surenchère sécuritaire de déclarations venant des autorités des deux côtés de la frontière, Boris Johnson appelant notamment à la mise en place systématique de « pushbacks » (refoulements en français) destinés à repousser les personnes exilées tentant de franchir le détroit. Cette séquence a abouti à la mobilisation d’un avion de Frontex, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, destiné, selon Gérald Darmanin, à surveiller et « survoler jour et nuit » le littoral nord de la France.
Mais derrière la réponse sécuritaire des autorités britanniques et françaises, qui ciblent habilement les réseaux de passeurs comme uniques responsables de ce drame, semble se dessiner une réalité beaucoup plus tragique et cynique concernant les circonstances du naufrage. En effet, deux rescapés du naufrage du 24 novembre ont témoigné et ont directement mis en cause la responsabilité des secours dans ce naufrage.
En réaction à ces décès, des initiatives importantes continuent d’exister ou voient le jour :
- Le groupe Décès à Calais continue son travail de soutien aux victimes et aux proches
Le groupe décès continue de soutenir les familles des victimes, documenter et politiser la question des mort.e.s de la frontière. L’action de ce groupe a de nouveau été mise en lumière avec l’accentuation des décès en 2021, notamment dans les médias (voir ici un reportage de France culture), mais aussi parce que ce groupe a réagi publiquement à la suite du naufrage du 24 novembre, voir ce communiqué de presse « A Calais, nous ne voulons plus compter les mort.e.s. ».
- Un comité de soutien « Justice pour Aleksandra » qui soutient la plainte de la famille qui a perdu son bébé le 1er septembre 2020
Ce comité de soutien s’est créé en 2020 pour dénoncer collectivement les conditions qui ont provoqué la mort d'Aleksandra, soit une interception sur une plage d’une traversée que tentait la famille. En 2021, ce comité a publié une tribune du côté anglais (dans le journal The Independent) et du côté français (sur le site de Mediapart), a organisé une manifestation « 1 an après », et continue de soutenir la famille et suivre le déroulé de la plainte.
- Une démarche de l’association Shanti : des plaques commémoratives gravées par les calaisien.ne.s pour les personnes exilées décédées de la frontière
Un atelier de gravure sur bois a émergé de l’association Shanti qui propose aux calaisien.ne.s de venir graver une plaque en mémoire à une personne décédée à la frontière. Ces plaques forment une frise que l’association souhaite au terme de ce premier travail collectif, accrocher dans la ville de Calais.
- Une plainte en responsabilité pour le naufrage du 24 novembre
Une plainte pour "homicide involontaire et omission de porter secours" a été déposée en décembre contre le préfet maritime de la Manche et les secouristes français et anglais par l’association Utopia 56 après le naufrage qui a coûté la vie à au moins 27 personnes dans la nuit du 23 au 24 novembre 2021. L’association se fonde notamment sur le témoignage des deux rescapés du naufrage. Ils racontent tous les deux avoir appelé à plusieurs reprises les secours français et britanniques cette nuit-là pour signaler que leur embarcation était en train de couler. Ce phénomène déjà documenté par le collectif Watch the Channel pour un précédent naufrage et ce naufrage précis, voir cet article.
c. Des conséquences dévastatrices sur la santé physique et mentale des personnes exilées
La pluralité des violences subies au quotidien par les personnes exilées (expulsions à répétition, violences policières, absence d’accès aux droits, précarité extrême, etc.) a d’importantes conséquences sur leur santé mentale.
L’impossibilité de se sentir en sécurité dans ces lieux de survie, la crainte permanente de se faire expulser ou de subir des violences policières, à toute heure du jour ou de la nuit, empêchent toute possibilité de repos, physique comme psychique, et ne peut mener qu’à l’épuisement. Cela impacte d’autant plus fortement les personnes que cette insécurité permanente n’est pas « accidentelle », mais résulte d’une volonté politique de harcèlement et d’épuisement des personnes exilées. Personnes exilées qui, rappelonsle, ont, pour nombre d’entre elles, déjà été confrontées à des tortures et mauvais traitements dans leur pays d’origine et/ou sur la route migratoire. Le non accueil subi dans un pays dans lequel elles espéraient pouvoir se sentir en sécurité ravive les souvenirs de violences vécues dans les pays d’origine, sur la route migratoire, et créent de nouveaux traumatismes.
Les arrestations et placements en rétention génèrent également leur lot de souffrances, et font souvent suite à des expulsions des lieux de (sur)vie. Alors que de nombreuses personnes bloquées à la frontière sont exposées à des évènements traumatiques, c’est encore une réponse répressive qui prévaut. Les rescapé.e.s de naufrages sont très souvent placé.e.s en garde à vue ou en retenue administrative.
La retenue administrative, c’est quoi ? - Focus sur la rétention administrative dans le nord de la France
La rétention administrative maintient dans un lieu d’enfermement (les CRA – Centres de rétention administratives) des personnes étrangères qui font l'objet d'une décision d'expulsion du territoire, dans l'attente de leur renvoi forcé. La rétention est décidée par l'administration ; elle peut être prolongée par le juge de la liberté et de la détention après 48 heures, lorsque le départ immédiat de France est impossible. Elle ne peut pas dépasser 90 jours (ce délai, qui était de 45 jours, a été allongé à 90 jours en 2018).
Deux centres de rétention administrative (CRA) existent dans le Nord-Pas-de-Calais : Coquelles près de Calais, et Lesquin près de Lille. Le Centre de rétention qui enferme les personnes les personnes exilées du littoral normand est à Oissel, près de Rouen. Le CRA de Coquelles n’ayant pas de places femmes, les femmes exilées survivant sur le Calaisis sont placées en rétention à Oissel.
Les bénévoles du réseau PSM s'organisent pour soutenir les personnes en rétention, notamment en assistant aux audiences du Juge des libertés et de la détention à Coquelles ou à Lille, en rédigeant des communiqués de soutien aux personnes risquant d'être renvoyées et en visitant les personnes au sein des CRA. Comme dans tous les lieux d’enfermement collectifs en France, plusieurs alertes du fait de la crise sanitaire ont visibilisé la grande promiscuité et les défaillances autour de la santé des personnes enfermées, situation qui s’est prolongée en 2021.
Par ailleurs, les 4 et 5 novembre 2020, la nouvelle Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), nommée le 14 octobre 2020, a réalisé sa première visite de terrain à Coquelles, mission pendant laquelle avec son équipe, elle s’est rendue à l’hôtel de police et dans les locaux de garde à vue à Coquelles, mais aussi les locaux de rétention, et a assisté à des audiences devant le juge de la liberté et de la détention. En juin 2021, deux rapports ont parus sur ces visites. La dernière visite de l’institution à Coquelles remontait à 2015, et il s’agissait de la 3ème visite des locaux.
S’agissant des évènements traumatiques d’ampleur, comme les naufrages, la Cellule d’Urgences MédicoPsychologiques (CUMP) a la légitimité d’intervenir au vu du drame et des conséquences psychologiques potentielles pour les personnes rescapées, mais également auprès des membres des communautés, des bénévoles et soutiens. D’ailleurs, la CUMP a été saisie à la suite du naufrage du 24 novembre, et l’Etat a accepté de rendre accessible des possibilités de soutien psychologique sur Calais, Dunkerque et Boulogne via les Centres Médico-Psychologiques, pour les personnes exilées ainsi que pour les acteur-ice-s associatifs. Ce dispositif a été mis en place tardivement, un bilan sera réalisé avec les acteurs sanitaires dans l’objectif d’améliorer les potentielles prochaines fois. Les traumatismes non reconnus, niés par l’environnement, ont d’autant plus d’impact sur la santé mentale des personnes, et peuvent avoir des conséquences importantes à long terme.
Face à ces souffrances engendrées par la situation de précarité et de violences dans lesquelles les personnes sont contraintes de survivre, l’accès aux soins de santé mentale reste inadapté aux besoins des personnes (délais de premier rendez-vous en Centre Médico-Psychologique très élevé, manque d’Equipes Mobiles Psychiatrie Précarité, faibles plages horaires de consultations psychologiques à la Permanence d’Accès aux Soins de Santé lorsqu’elles existent, absence ou difficultés d’accès à l’interprétariat professionnel, etc.). Si les conséquences sur la santé mentale des personnes exilées de ces politiques migratoires se constatent quotidiennement sur le terrain depuis déjà de nombreuses années, elles demeurent sous-estimées et ne sont toujours pas prises en considération par l’État.
L’épuisement des personnes exilées agit par ricochet sur les bénévoles et soutiens des associations à la frontière qui observent, documentent les violences subies et viennent en soutien des victimes. Là encore, les possibilités de soutien sont restreintes, peu d’associations ayant les possibilités financières d’offrir des temps de supervision ou d’analyse des pratiques aux bénévoles et salarié.e.s. Pourtant, là encore les besoins sont grandissants.
Ces mêmes personnes bénévoles / militantes subissent un harcèlement elles-mêmes, ou des entraves à leurs actions qui continuent d’être documentées à la suite d’Amnesty le 19 décembre 2019 dans un article intitulé « Nord de la France – Les pratiques abusives et l’impunité de la police continuent ».
3. Un rôle palliatif des associations humanitaires qui travaillent avec moins de moyens et sont de plus en plus entravées dans leurs actions
- Un manque de moyens structurels et un troisième confinement qui « démobilise » dans certains territoires
Le troisième confinement a été marqué par une période « confuse » dans les relations inter-associatives et la dynamique du réseau, notamment du fait de l’évolution des restrictions, la perpétuelle réadaptation des services de chacun.e.s des organisations, mais aussi de l’adaptation des rencontres et moyens de communications. Pour exemple, les réunions inter-associatives se déroulaient tantôt en visio, ce qui excluaient ceux ou celles qui ne sont pas à l'aise avec ce moyen de communication, ou s’y refusaient. Mais ce moyen de communication convenait à une bonne partie du réseau, qui y voyait un gain de temps, et a permis des échanges réguliers et enrichissants entre membres à la frontière, qui n’aurait jamais eu lieu si le présentiel était maintenu. Puis, petit à petit, les rencontres en présentiel ont repris, timidement, avec des périodes d’incertitudes, et un nombre très limité de personnes, démobilisées cet été sur certains territoires.
L’annonce du départ de Choose Love – anciennement Help Refugee – comme principal financeur pour une dizaine d’associations et de projets sur le littoral, de Calais à Dunkerque, a grandement fragilisé une bonne partie du réseau. Le retrait total sera effectif fin décembre, avec pour conséquences :
- La disparition totale de certaines structures ;
- Des postes en péril, notamment le poste de Juriste du collectif Human Rights Observers ; mais aussi tous les postes de coordinateurs.trices du Refugee Women Center ou encore de Project Play avec une continuité moindre des activités de terrains ;
- La disparition de ces organisations à terme dans les espaces inter-associatifs (et donc de plaidoyer long terme) faute de capacité humaine suffisante ;
- La réduction des activités humanitaires, faute de moyens, avec par exemple un retrait du terrain de Collective Aid (association de distribution de matériel) à Grande-Synthe.
Face à ce manque de moyens structurels, de nouvelles situations de détresse ont émergé avec la démultiplication des traversées et des naufrages mettant en difficulté les associations qui doivent pallier à l’absence de dispositif de prise en charge des naufragés par les autorités compétentes.
En effet, d’une part, les mairies du littoral se sentent « démunies » face à l’ampleur du phénomène. « Comment les communes du Boulonnais s’adaptent pour accueillir les migrants naufragés » titre un article de la Voix du Nord du 1er septembre. 6 maires témoignent sur les naufrages et la prise en charge dans leurs municipalités respectives. La préfecture du Pas-de-Calais indique dans l’article que depuis l’été 2020, un « protocole de prise en charge des naufragés » est déployé. Celui-ci prévoit, notamment, l’intervention des « équipes de la protection civile », 24 heures sur 24 et tout au long de l’année, sur le lieu de la découverte de personnes en difficulté.
Pourtant plusieurs associations sur le littoral constatent régulièrement cette absence de prise en charge des personnes naufragées à Calais et Grande Synthe, notamment au niveau de l’hébergement d’urgence, mais aussi au niveau de la détresse médicale des personnes, détresse physique ou psychologique. Sur le seul mois de septembre c’est plus de 1 462 personnes en détresse en mer ou ramenées au port (sur tout le littoral) qui ont appelé les équipes d’Utopia 56 et qui n’ont pas bénéficié de prise en charge médicale ou autre. Certaines personnes, trempées et parfois en situation d’hypothermie, ont été directement ramenées sur les lieux de (sur)vie par la police.
- Des entraves multiples aux aidant.e.s qui perdurent, le phénomène nouveau d’entrave aux observations, et des victoires encourageantes face au délit de solidarité
La mairie de Calais a pris, le 18 février puis rectifié le 1er mars 2021, un arrêté de fermeture de la « Crèche », une halte solidaire, ouverte par le Secours Catholique — Caritas France en lien avec le Diocèse d'Arras à destination des personnes exilées à la rue à Calais. Ce lieu accueillait pour la nuit, d’un côté des hommes seuls et de l’autre des femmes isolées ou des familles. Le Secours Catholique et le Diocèse d'Arras, représentés par Me Lionel Crusoé, ont contesté cet arrêté devant le Tribunal Administratif de Lille le 28 avril. Le recours ayant été perdu au tribunal, le lieu a été expulsé quelques semaines plus tard.
La politique de contraventions des aidant.e.s s’est également poursuivie cette année, les associations et militant.e.s devenant particulièrement compétent.e.s pour contester les amendes auprès du tribunal de police. Cette politique contraventionnelle menée particulièrement à Calais depuis la destruction du bidonville en 2016, s’était renforcée considérablement lors des différents confinements en 2020. Demandant un travail de compilation et de suivi minutieux pour les associations, le collectif d’avocat.e.s national Barreaux des rues ainsi que des avocat.e.s se sont placé.e.s en soutien des associations pour la méthode et le soutien juridique des contestations, au quotidien la tâche étant prise en charge par différents postes de coordination ou de juriste associatifs. A Ouistreham, un épisode de contraventions alors que plusieurs militant.e.s étaient venu.e.s soutenir des personnes exilées, a également mené à une défense collective qui a abouti devant les tribunaux (voir plus loin).
Également, deux arrestations et placements en garde à vue de bénévoles dans le cadre de leurs activités associatives ont été comptabilisés à Calais, non suivies de poursuites par le parquet, mais restant une entrave à l’action solidaire et ayant pour conséquence la nécessité de former régulièrement les bénévoles sur leurs droits face à la police et sur ce qu’est le délit de solidarité.
En cette année 2021, en plus des entraves « habituelles » d’entraves et d’intimidations des forces de l’ordre dans le cadre des activités humanitaires ou d’observation des droits humains, l’année 2021 a été marquée par le rythme mensuel des arrêtés anti-distribution dans le Calaisis. En effet, les arrêtés préfectoraux se succèdent depuis le 11 septembre 2020, interdisant aux associations non mandatées des réaliser des distributions de nourriture et de boissons aux personnes exilées dans une grande partie de la ville de Calais. Au 10 septembre, cela faisait un an de prolongation de ces arrêtés anti-distribution. Le 13 décembre, Calais connaissait son dix-huitième arrêté préfectoral anti-distribution.
Un phénomène nouveau et inquiétant : l’entrave au travail des journalistes. Si ce n’est pas nouveau que des associations soient empêchées d’observer des actions des forces de l’ordre, les journalistes sont dorénavant empêché.e.s de documenter les expulsions à Calais et Grande Synthe. Le tribunal administratif de Lille a rejeté, le 5 janvier, la demande de deux reporters indépendants d’enjoindre, en urgence, aux préfectures du Nord et du Pas-de-Calais de les autoriser à accéder aux différents sites où il est procédé à l’évacuation de campements. En cause, notamment, plusieurs épisodes durant lesquels les deux journalistes disent avoir été entravés dans leur travail, évoquant une atteinte grave à la liberté d’informer. Le syndicat national des journalistes, en soutien au recours des journalistes, a fait paraître une tribune dans Le Monde : « Il est urgent de garantir la liberté citoyenne d’informer et être informé » le 26 janvier 2021.
Des recours gagnants en 2021 sur le délit de solidarité à la frontière ! Si les entraves structurelles aux aidant.e.s décrites précédemment découragent par leur systématicité, et leur harcèlement des solidaires, 2021 a aussi été une année de victoires contre le délit de solidarité et les entraves à la frontière :
- Le retrait d’une fiche S d’une militante calaisienne : arrêtée lors d’une commémoration aux mort.e.s de la frontière en 2016, elle avait appris lors de la préparation de son procès, qu’elle était inscrite au fichier des personnes recherchées pour menace contre la sûreté de l’État. Elle a pu demander le retrait de sa fiche S en justice selon une procédure particulière, et le 3 juin 2021, le Conseil d’Etat a ordonné l’effacement de cette fiche du fichier.
- Cassation dans l’affaire du tweet de Loan Torondel : après 3 ans de procédure, la Cour de cassation a annulé le 30 mars 2021 la condamnation de l’ancien bénévole de l’Auberge des migrants à payer une amende de 1 500 €. Il était accusé de diffamation pour un tweet ironique sur la police.
- Un délit de solidarité qui aboutit à la condamnation de la police : pour des faits datant du 31 juillet 2018, lors d’une expulsion de personnes exilées sous un pont que filme un bénévole, Tom Ciotkowsky. Le jeudi 2 septembre, un policier des compagnies républicaines de sécurité (CRS) a été condamné pour l’agression d’un bénévole à Calais en 2018, à dix-huit mois de prison avec sursis et deux ans d’interdiction d’exercer, tandis que ses deux subordonnés ont été relaxés. Rappel de cette affaire ici. Il avait agressé un bénévole britannique à Calais lors d’une évacuation de migrants et falsifié son procès verbal (PV).
- Deux audiences gagnantes au Tribunal de police en lien avec des activités associatives :
- Le 10 novembre 2021, 4 militant.e.s en soutien aux personnes exilées de Ouistreham comparaissaient suite à la contestations de contraventions reçues pour « rassemblement interdit sur la voie publique dans une circonscription territoriale en état d’urgence sanitaire et devant faire face à l’épidémie de COVID-19 ». Une dizaine de militant.e.s avaient reçu des contraventions en 2020 : alerté.e.s par des personnes exilées qui souhaitaient revenir sur le campement de Ouistreham, et qui étaient empêchées brutalement par le PSIG (menant notamment au placement en rétention de deux personnes), les militant.e.s s’étaient rendu.e.s sur place en soutien. La contestation de 4 des contraventions a abouti au Tribunal de police qui a indiqué que les faits reprochés étaient prescrits, et a donc annulé les contraventions. L’intérêt de l’audience a consisté à ce que l’avocate indique qu'il n'y a pas eu de rassemblement sur la voie publique mais qu’un regroupement s'est formé temporairement du fait des gendarmes qui ont encerclé les exilés et les militant.es, empêchant les personnes de circuler librement. L’avocate a pu s’exprimer sur l'aspect politique de la présence des militant.e.s aux côtés des exilés et que c’était cette démarche politique qui a été sanctionnée. Elle a précisé que cette action a notamment permis d'assurer un suivi juridique des exilés envoyés en centre de rétention administrative et de récupérer le matériel du campement.
- Le 4 décembre 2021, une ancienne coordinatrice d’Utopia 56 Grande Synthe, était convoquée au tribunal de police de Dunkerque pour avoir chanté dans sa cellule de garde à vue la chanson Bella Ciao, suite à son arrestation sur le terrain en avril 2020 à Grande-Synthe. Pour ce “tapage injurieux”, elle risquait jusqu’à 450€ d’amende. Les poursuites ont été abandonnées à l’issue de sa convocation. Elle était à l’origine interpellée par la police durant l’expulsion d’un campement à laquelle elle assistait, et la police justifiait l’arrestation par des faits “d’atteinte portée à l’autorité judiciaire en jetant le discrédit sur une décision de justice” par sa simple présence sur place, ainsi que “mise en danger de la vie d’autrui”. Ces motifs ont été rapidement abandonnés, mais elle a reçu quelques mois plus tard une amende pour « tapage injurieux ». Même si le tribunal n'avait à traiter que de l'amende pour tapage injurieux reçue un mois après la garde à vue, la juge a laissé l'avocate et l’ancienne salariée d'Utopia 56 revenir sur le contexte de la garde à vue, l'arrestation de toute une équipe pendant une expulsion de terrain sur des motifs qui n'ont pas mené à des poursuites. Elle a pu exprimer qu'elle a été arrêtée alors "qu'elle faisait son métier" et a parlé de la situation que vivent les personnes exilées sur le littoral. Son avocate a pu qualifier de "procédure bâillon" cette arrestation - mais aussi que c'est tout un système sur le littoral qui existe pour empêcher les associatifs de faire leur travail.
4. Une multiplication des interpellations des solidaires à la frontière
- Focus sur la grève de la faim : une action qui a largement rassemblé localement à Calais, mais qui a aussi rallié les associations au national et sur le reste de la frontière autour de revendications fédératrices
A la suite du décès de Yasser, percuté sur l’autoroute, tôt le matin. Les expulsions de terrain ont tout de même eu lieu la matinée, même celle de son campement où pourtant des personnes qui avaient assisté à la mort de leur ami étaient retournées. Et cela, malgré les alertes des associations à la préfecture et au commissariat. A la suite de sa mort, et de ces expulsions, les personnes exilées ont organisé une manifestation dans la ville de Calais. A l’issue de cette manifestation, 3 militant.e.s ont annoncé entamer une grève de la faim dès le lundi 11 octobre. Autour d’un hashtag #Faimauxfrontières, les militant.e.s portaient 3 revendications principales, relayées via une pétition :
- La suspension des expulsions quotidiennes et des démantèlements de campements durant la trêve hivernale
- Durant cette même période, arrêt de la confiscation des tentes et des effets personnels des personnes exilées
- L’ouverture d'un dialogue citoyen raisonné entre autorités publiques et associations non mandatées par l’État, portant sur l'ouverture et la localisation de points de distribution de tous les biens nécessaires au maintien de la santé des personnes exilées.
Le bilan de la grève de la faim est mitigé : aucune des revendications pourtant minimales n’a obtenu gain de cause ou a été suivie d’effets sur le long terme. En revanche, cette grève a eu un effet significatif sur le travail collectif des associations qui de concert ont soutenu les revendications et les grévistes. Plusieurs actions ont émergé de cette volonté collective d’opérer un changement de la situation : des blocages d’expulsions, une manifestation organisée à Calais, puis une manifestation organisée à Paris.
Un autre impact a été l’afflux de médias qui se sont emparés du sujet et ont relayé largement en place publique les revendications, ainsi que les débats autour des expulsions de terrain, et le harcèlement que connaissent les personnes exilées. Le sujet de la destruction des affaires et des biens de première nécessité a été mis en avant, les ministères étant questionnés et placés devant leurs contradictions, notamment sur la lacération des tentes et le vol des biens personnels.
La revendication autour du dialogue citoyen raisonné a abouti à une réunion à laquelle des associations et militant.e.s calaisien.ne.s, qui d’habitude ne sont pas invitées, ont pu être présentes, mais surtout à laquelle des personnes exilées ont pu venir et porter leurs propres revendications, que ce soit la régularisation, ou le retrait du statut Dublin.
- Une année ponctuée par des manifestations et des actions directes
Le 27 mars, pour la journée internationale du droit au logement, répondant à l’appel européen de manifester, et à l’initiative d’Utopia 56 et la CGT, les associations du Dunkerquois ont organisé une manifestation pour l'arrêt des expulsions, l'accès à un hébergement d'urgence et à un logement digne pour toutes et tous, y compris les personnes sans papiers.
Le 12 mai, le lendemain de la parution d’un arrêté d’interdiction de stationnement et de circulation de la mairie de Grande Synthe en vue d’une expulsion du lieu de vie, une cinquantaine d’associatifs est venue bloquer l’expulsion. Les personnes exilées ont été prévenues en amont, et beaucoup d’entre elles ont préféré « s’auto-expulser » du terrain.
Le 9 juin, un rassemblement de 200 soutiens devant le tribunal administratif de Caen, en parallèle d’une audience pour protester contre la demande d’expulsion du squat situé à Ranville, accueillant les personnes exilées du campement de Ouistreham.
Le 26 juin, une déambulation solidaire était organisée dans les rues de Calais. Conviviale et déterminée, entre bar à eau et remise de médailles en chocolat à la maire de Calais, au Préfet du Pas de Calais et au ministre de l’Intérieur, la manifestation fêtait ironiquement le 11ème arrêté préfectoral, voir le communiqué de presse des associations organisatrices ici.
Le 17 juillet, le collectif Calais Food Collective organise une action dans le centre-ville de Calais : elle dépose plusieurs mètres cube de déchets collectés sur les différents lieux de vie sur une place principale de Calais, avec pour objectif de dénoncer la non-prise en charge des sacs poubelles par les services compétents, à la suite de plusieurs demandes de collecte par courriers. Les pancartes arborent les slogans « Mairie défaillante – Ville dégoûtante », et « Une honte à vous », avec les sacs poubelles remplis qui jonchent la place publique. Les personnes du collectif ont toutes subi des contrôles d’identité, et leur véhicule a été immobilisé.
Le 5 septembre, un rassemblement s’est tenu à Calais à l’initiative du Comité de soutien Justice pour Aleksandra, un an après la mort du bébé.
Le 8 octobre, une manifestation pacifique était organisée par la communauté soudanaise à Calais en hommage à Yasser, percuté sur l’autoroute le 28 septembre 2021.
Les 4 et 7 novembre, des associatifs et des personnes exilées ont bloqué des expulsions du lieu de vie « Old lidl » situé à Marck dans le Calaisis. Si le blocage a fonctionné le 4 novembre, cette expulsion marquant la millième expulsion de l’année à Calais, le 11 novembre la police a fait usage de la force, et est parvenue à expulser le terrain.
Le 13 novembre à Calais, une manifestation joyeuse, rassemblant une grande diversité d’associations du réseau, venues de Ouistreham, Grande Synthe, Lille, sont venues manifester en soutien aux revendications portées par les grévistes de la faim.
Le 21 novembre, une manifestation est organisée à Paris à l’appel des militant.e.s et associations de Calais contre la maltraitance et pour l’accueil des personnes en exil.
Le 18 décembre, pour la journée internationale des migrants, une manifestation a été organisée à Dunkerque, plusieurs villes rejoignant le cortège, dont la ville de Calais.
- Un maintien des envois de courriers classiques d’interpellations mais aussi des réunions avec différentes collectivités et autorités
Malgré le découragement des acteurs associatifs face aux réponses insuffisantes des autorités aux courriers envoyés depuis déjà plusieurs années, cette action a été maintenue en 2021, permettant de documenter formellement les contextes de (sur)vie des personnes exilées, et les demandes associatives associées. L’une des évolutions par rapport aux années précédentes, c’est que les associations ciblent des demandes précises par rapport aux compétences particulières des autorités, pour obtenir des évolutions tangibles. Ainsi, sur chaque territoire, les interpellations ont consisté en des demandes très ciblées :
-A Calais :
- Des courriers sur la collecte des déchets ont pu être échangés avec la communauté d’agglomération du Calaisis, et la sous-préfecture de Calais, aucun des deux ne se reconnaissant compétent pour le ramassage des déchets près des lieux de vie. Une pétition pour demander une collecte a également été lancée.
- Des courriers sur l’amélioration de l’accès à l’eau à Calais ont pu être envoyés à différentes mairies du Calaisis, et à la sous-préfecture, notamment avec une collecte de signatures pour le lieu de vie du Fort Nieulay. Le courrier était donc signé par 272 personnes exilées (sur)vivant sur le lieu, et par 6 associations en soutien.
- Le groupe femmes-familles à Calais a pu avoir un échange de courriers sur l’hébergement d’urgence des femmes et des familles dès l’été, mais a aussi fait le relai de demandes comme des repas adaptés pour les femmes allaitantes ou enceintes, des demandes de serviettes hygiéniques ou des couches.
A Grande Synthe :
- Des échanges sous forme de réunions ont pu avoir lieu entre la mairie de Grande Synthe et les associations à plusieurs reprises en 2021. La demande principale était l’arrêt des expulsions et des lacérations de tentes auprès de la mairie qui n’ont pas abouti à un résultat (les associations ont donc déposé un recours en nullité des expulsions pour faire condamner ces agissements). Les demandes sur l’accès à l’eau ont continué sur l’ensemble de l’année, au gré des expulsions de terrain. En novembre, les personnes exilées ont été chassées de la ville de Grande Synthe après plusieurs expulsions de leur lieu de vie. Des demandes sur l’eau ont été faites auprès de la commune de Loon Plage mais aussi auprès de la Communauté Urbaine de Dunkerque, demandes urgentes laissées sans réponse.
A Saint Hilaire Cottes :
- L’association Terre d’errance, soutenue par la Ligue des droits de l’Homme et la Fondation Abbé Pierre a envoyé un courrier à la mairie demandant le retrait de l’arrêté municipal anti-bivouac à côté du campement, courrier qui est resté sans réponse.