L'année 2024
Lieux de (sur)vie à la frontière
Du côté français, l’année 2024 connaît toujours un contexte dégradé en termes de droits fondamentaux pour les personnes exilées : elles ont toujours à (sur)vivre sur des campements informels ou en squats, et restent en grande mobilité, faute de politique d’accueil. Pire, elles ont subi sur différents territoires une politique de harcèlement dans les villes et dans les lieux qu’elles habitent, et une politique d’empêchement constant des traversées via une présence policière renforcée sur le littoral. Ces politiques ont des conséquences graves sur les personnes concernées, et par ricochet sur les associations qui ont toujours plus à pallier les besoins qu’elles constatent.
De plus, au vu du contexte politique électoral en France et au Royaume Uni, 2024 a vu (ré)apparaître des initiatives de groupes ou d’individus racistes d’extrême droite qui menacent directement les personnes exilées et les associatifs.
- Cherbourg
Le campement de Cherbourg existe maintenant depuis 6 ans sur un lieu dédié, situé dans un sous-bois. 50 à 80 personnes afghanes (sur)vivent sur le lieu, dont des mineurs non accompagnés très jeunes de 11 à 17 ans. L’association Itinérance Cherbourg qui offre différents services habituellement directement sur le lieu de vie mais aussi à partir de son accueil de jour, ne va plus sur le campement, actant d’une rupture des liens. L’année 2024 a vu apparaître un arrêté qui permet à des drônes de survoler l’ensemble de la zone portuaire de Cherbourg, à des fins de surveillance et de contrôle des migrations.
- Dunkerquois
Dans le Dunkerquois, sont présentes ou de passage des personnes majoritairement d’origine kurde irakienne ou kurde iranienne, mais aussi de nationalité iranienne, afghane, pakistanaise, indienne, vietnamienne, koweïtienne, syrienne, palestinienne, soudanaise et érythréenne. De façon générale, en plus d’hommes seuls, les personnes sur les campements du Dunkerquois sont souvent des familles avec des enfants en bas âge. Il y a également une présence forte de mineur.e.s non accompagné.e.s. Le nombre de personnes présentes sur les campements simultanément a oscillé au cours de l’année de 400 à plus de 1000 en moyenne. ll est néanmoins très difficile d’évaluer ce chiffre en raison d’un important turn-over, parfois journalier ou hebdomadaire, avec plus ou moins de monde en présence sur les campements, selon les passages au Royaume-Uni. Les personnes sont situées sur plusieurs campements, sur des terrains appartenant au Port, à cheval sur différentes collectivités (Loon Plage, Mardyck, Dunkerque, Communauté Urbaine de Dunkerque) près d’une zone industrielle particulièrement éloignée de la ville.
Il n’y a aucun dispositif d’Etat en matière d’accès à l’eau, aux repas, aux soins, à l’information, etc. Les associations pallient quasiment à l’ensemble de ces services. Des bennes et un point d’eau ont été obtenus auprès de la Communauté Urbaine de Dunkerque, grâce à la mobilisation des solidaires de Dunkerque et sous la pression d’une grève de la faim d’un bénévole de l'association Salam en décembre 2023, et continuent d’être entretenus sur le campement depuis. L’AFEJI est toujours mandatée pour venir quotidiennement sur la zone proposer quelques places de mise à l’abri vers les CAES (Centres d’Accueil et d'Évaluation des Situations). Un partenariat a été noué en 2023 entre la Croix rouge, le Refugee Women Centre et la mairie de Mardyck qui ouvre un gymnase deux fois par semaine pour donner un accès à des douches à 50-80 personnes par après-midi, acheminées par navettes associatives du campement au gymnase. En 2024, se sont greffées à ces sessions douches des permanences d’informations juridiques du Bus de l’accès aux droits tous les 15 jours, avec des avocat.e.s des barreaux de Dunkerque et Lille qui alternent leur présence.
En 2024, les expulsions du terrain continuent :pas moins de 23 expulsions de janvier à fin août selon l’association Human Rights Observers, avec à chaque fois la destruction du lieu de vie et des affaires personnelles. Les expulsions des lieux de vie ont repris le 15 mars (la précédente expulsion avait eu lieu le 30 novembre 2023). Outre la violence inhérente à de telles opérations, les personnes exilées installées sur les terrains de Mardyck et Loon-Plage avaient aménagé deux "mosquées" de fortune pendant le Ramadan. Lors de l’expulsion, ces deux lieux cultuels ont été détruits par les forces de l’ordre, destruction accompagnée de gestes irrespectueux (notamment des coups de pied dans le Coran) qui ont choqué les croyant.e.s. Le 4 avril, les “shops” des personnes exilées sur le campement ont été détruits par les forces de l’ordre. Une expulsion des lieux de vie a de nouveau eu lieu le 11 avril, avec un enrochement devant la zone principale de distribution des associations.
Le campement vit des violences endogènes systématiques (coups de feu sur le campement, personnes blessées, violences physiques entre les personnes et tensions généralisées). Les associations se retrouvent seules pour interpeller face à ces violences. Par exemple, les associations ont été alertées cet été 2024 de séquestrations de femmes sur les lieux de vie. Elles ont dû elles-mêmes agir face à ces situations et ont décidé de lancer une alerte à la préfecture début septembre.
- Calaisis
Dans le Calaisis (le centre-ville de Calais, Marck, Coquelles et quelques villes aux alentours), sont présentes ou de passage des personnes majoritairement de nationalité soudanaise, sud-soudanaise, érythréenne, afghane, et de façon plus minoritaire, des personnes en provenance d’Iran, du Kurdistan Irakien, du Kurdistan Iranien, d’Ethiopie, du Koweït, du Yémen, de Syrie, de Palestine, de Libye et de Somalie. De façon générale, en plus d’hommes seuls, les personnes sur les campements peuvent être des mineur.e.s non accompagné.e.s, des femmes isolées. Il y a également quelques familles, dont le nombre augmente en été. Le nombre estimé de personnes a oscillé entre 600 à 1 000 personnes suivant les périodes. Tout comme à Dunkerque, il y a un important turn-over, parfois journalier ou hebdomadaire, avec plus ou moins de monde en présence sur les campements, selon les passages au Royaume-Uni. Les associations font face à des campements d’une centaine de personnes un jour, et le lendemain le campement peut être vide de ses habitant.e.s.
Plusieurs campements existent, au centre-ville, et à l’extérieur sur des friches industrielles ; leurs expulsions consécutives, avec pas moins de 537 expulsions de janvier à fin août selon l’association Human Rights Observers, provoquent la création de nouveaux lieux ailleurs.
Le contexte des expulsions à Calais est toujours le même depuis 2018 : des expulsions des terrains ont lieu tous les deux jours avec une base légale dévoyée: l’enquête pénale en flagrance. Les policiers viennent interrompre le délit “flagrant” d’occupation illicite, et classent sans suite la procédure après avoir demandé aux personnes de se déplacer sur la voie publique et qu’une société de nettoyage ait pris ou détruit les affaires sur place. Une forte hausse d’arrestations par la police aux frontières a été constatée. D’autres expulsions plus conséquentes consistent à détruire intégralement les lieux de vie et à forcer les personnes à monter dans des bus dont les personnes ne connaissent pas la destination, ce que les autorités indiquent être des “mises à l’abri”.
L’hébergement de droit commun à Calais est réalisé soit par le115 (maximum 3 nuits si les personnes parviennent à avoir une place) ou via orientation vers les CAES (Centres d’Accueil et d'Évaluation des Situations). L’hiver, aucun accueil inconditionnel n’existe, seulement un “Plan Grand Froid” déclenché “au thermomètre” (quand il fait moins de 0 degrés) ou suivant le niveau de vent lors de tempêtes. Ce gymnase où peuvent être hébergées les personnes lors du “Plan Grand Froid” est difficile d'accès et n’a que 300 places, ce qui est largement insuffisant pour le nombre de personnes présentes.
La politique inhospitalière se poursuit :
- L’année a été particulièrement mortifère: au moins 51 personnes sont décédées au cours de l’année 2024, ce qui porte aux nombres de 437 mort.e.s recensé.e.s depuis 1999, cela sans compter le nombre important de personnes disparues.
- Le 2 juillet, le squat de la rue Frédéric Sauvage est intégralement muré par la mairie, illégalement, puisque ce lieu bénéficiait d’une décision de justice qui accordait 3 années avant expulsion.
- Dans la nuit du 30 au 31 juillet, un incendie lié à une rixe s’est déclenché dans un entrepôt rue Clément Ader, occupé depuis plusieurs mois par des personnes en exil. La préfecture et la police ont boulonné dès le lendemain l’accès à l’ancien lieu de vie sinistré.
Ce contexte délétère a des conséquences dramatiques sur les personnes concernées.
- Béthunois (Saint Hilaire Cottes)
Un petit campement existe à Saint-Hilaire-Cottes dans un fossé boisé en plein milieu des champs, à proximité d’une aire d’autoroute. Un arrêté municipal “anti-bivouac” menace le lieu de vie d’expulsions depuis 2020, les expulsions restant rares.
En parallèle de l’aide aux personnes exilées sur le campement, les bénévoles de Terre d’errance accueillent habituellement les week-ends les personnes ; en plus de cet accueil, un logement mis à disposition pour l’association dans la commune d’Amettes permet de proposer des douches deux fois par semaine.
Le campement était occupé plus récemment par des personnes soudanaises (après une attaque raciste en mars 2023 qui avait fait partir les personnes érythréennes). En 2024, un groupe d’Erythréens est venu “reprendre” le campement, les heurts entre les deux communautés ont provoqué des blessés. Le campement est depuis habité par les personnes érythréennes, avec une présence d’hommes seuls mais aussi de femmes.
- Boulonnais
Il n’y a pas de campement en tant que tel à Boulogne-sur-Mer ni dans les communes environnantes mais plutôt quelques lieux de vie très éphémères liés bien souvent aux tentatives de traversées (dans les dunes autour de Wimereux en 2024, deux petits campements sont apparus ; on peut trouver des “traces” des campements temporaires tout le long de la côte de Boulogne-sur-mer jusqu’à Wissant). L’association Osmose 62 (Objectif Soutien Maraude Opale Solidarité Exilés) voit en revanche régulièrement des personnes mouillées ou blessées, revenir d’une tentative de passage ou d’un naufrage, et qui sont à la recherche d’une gare ou d’un bus pour retourner sur les campements de Calais ou Dunkerque. Le territoire est marqué par les naufrages à répétition. 5 personnes ont perdu la vie dans une tentative de traversée à partir de Wimereux dans la nuit du 23 au 24 avril 2024, le 3 septembre 12 personnes ont été remontées mortes au port du Portel, avec près d’une cinquantaine de personnes rescapées.
- Ouistreham
Le campement à Ouistreham est stabilisé depuis 2020, dans un sous-bois à proximité immédiate d’un chemin de halage et d’un canal. Il y avait déjà des tentes sur ce lieu dès 2017. De 30 à 80 personnes vivent sur place, uniquement des ressortissants soudanais de la communauté Zaghawa (hommes seuls et mineurs non accompagnés garçons). Diverses associations répondent aux besoins alimentaires, en eau, en soins des personnes, mais aussi en apprentissage de la langue française, en information et accompagnement aux droits.
Du côté des pouvoirs publics, la PASS de l’hôpital vient deux fois par mois avec une clinique mobile, et le Samu Social a également commencé à intervenir depuis l’hiver 2023-2024 sur le campement, toutes les semaines lorsque leur effectif le permet.
Même si l’eau dans ses différents usages (eau potable, douches, latrines) a été obtenue en justice en 2023 par les associations, et qu’un dispositif a été installé à proximité du campement, il reste toujours inadapté et insatisfaisant au regard du nombre de personnes sur le campement.
- Les réseaux d’hébergement et les maisons et lieux accueillants :
ECNOU & Migraction 59 continuent leur action d’hébergement les week-ends.
Des maisons du répit se sont développées à la frontière franco-britannique et sont de véritables actrices du littoral: elles proposent un lieu d’accueil, chacune avec ses propres règles et un public déterminé, cela en lien avec les acteurs associatifs de terrain. On peut citer la Maison Sésame à Herzeele, mais aussi une maison d’accueil animée par Terre d’errance à Steenvoorde. Un ensemble de maisons du répit existent directement à Calais : Effata, la Margelle, Maria Skobstova, la Base solidaire, la Maison commune.
- Le littoral et la frontière entendus dans un sens large :
Pour échapper aux contrôles, les tentatives de traversée par petits bateaux se font depuis des zones de plus en plus diverses et dispersées. Des campements éphémères se créent le long de la côte plus loin qu’à Calais, par exemple en 2024 à Wimereux. Les associations qui agissent sur la côte (Utopia 56 et Osmose 62) agissent en fonction des besoins des personnes : si elles ont vécu un naufrage et ont besoin de matériel sec, si elles ont subi des violences policières, etc.
En 2024, les violentes manifestations d’extrême droite se sont notamment concrétisées par un appel à venir à Calais “stopper les bateaux”. Cette nouvelle a alerté les associations et les autorités sur une venue potentielle de groupes racistes violents.
Focus 2024 : Soutenir les personnes criminalisées à la frontière franco-britannique
Carte blanche au collectif de soutien aux personnes criminalisées à la frontière
Au cours des dernières années, l'Union européenne et ses frontières externalisées ont jugé et arrêté des milliers de personnes pour avoir exercé leur liberté de mouvement ou pour l'avoir facilité. En résistance à la criminalisation de la liberté de circulation, de nombreux réseaux de solidarité répartis sur toutes les frontières se sont formés pour tenter de visibiliser et de dénoncer ce phénomène, mais surtout de soutenir les personnes criminalisées en les mettant en lien avec leurs proches et des avocat.e.s de confiance.
Parmi eux, le réseau Captain Support soutient les personnes accusées de conduire des bateaux ou des véhicules en direction de l'Europe ou du Royaume-Uni. Ce réseau soutient notamment des campagnes de solidarité autour de procès particulièrement symboliques : El hiblu3, Free Homayoun, Pylos 9, Ibrahima Bah...
El hiblu 3 : Depuis mars 2019, trois adolescents africains sont accusés de terrorisme à Malte. Ils faisaient partie d'un groupe de migrants qui ont fui la Libye sur un bateau pneumatique qui a été secouru par l'équipage du cargo El Hiblu 1. D'après les consignes d'un avion de l'opération militaire européenne Eunavfor Med, l'équipage a cherché à renvoyer les rescapé.e.s en Libye, un pays vers lequel la Cour Européenne des Droits de l'Homme et le Comité des Droits de l'Homme des Nations Unies ont tous les deux qualifiés les retours forcés d'illégaux aux vues des nombreux témoignages et rapports des violences subies par les personnes migrantes. Les passager.ère.s du Hiblu 1 ont entamé une manifestation pacifique et sont parvenu.e.s à convaincre l'équipage de faire demi-tour et mettre cap vers Malte. A leur arrivée, les trois adolescents qui avaient accepté de servir d'intermédiaire entre les autres passager.ère.s en traduisant en anglais ont été arrêtés et détenus pendant sept mois. Aujourd'hui ils sont sous contrôle judiciaire et attendent leur procès devant un tribunal maltais ; les trois jeunes d'El Hiblu font face à de graves accusations de terrorisme et pourraient, s'ils sont reconnus coupables, passer de nombreuses années en prison.
Free Homayoun : En août 2021, Homayoun Sabetara a été arrêté par les autorités grecques à Thessalonique après avoir franchi la frontière gréco-turque au volant d'un véhicule. Il avait été contraint de piloter la voiture depuis la Turquie et de transporter sept autres personnes. Lui-même fuyant l'Iran, il n'avait pas trouvé d'autre moyen légal et sûr pour rejoindre ses enfants en Allemagne. En septembre 2022 il a été condamné à une peine de 18 ans de prison pour contrebande présumée. La première audience de la procédure d'appel a eu lieu le 22 avril 2024 mais a été reportée au 24 septembre 2024.
Pylos 9 : Suite au naufrage de l'Adriana le 14 juin 2023 qui avait tué plus de six cents personnes au large des côtes de Pylos, neuf survivants ont été mis en cause par l'État grec. Tous ont été relaxés suite à une longue campagne d'activistes et de journalistes indépendant.e.s aux côtés des survivant.e.s pour étayer l'examen sommaire des preuves organisé par les autorités grecques. L'enquête n'a duré que six mois durant lesquels la responsabilité des gardes-côtes n'a pas été inquiétée. Pourtant, les témoignages des survivant.e.s ont clairement mis en cause les autorités grecques chargées des gardes-côtes et Frontex, qui étaient au courant de la situation de détresse du navire Adriana et l'ont surveillée pendant près d'une journée entière, mais n'ont pas mené d'opération de sauvetage. En particulier, les témoignages des survivants indiquent que le navire a chaviré après avoir été remorqué par un navire des garde-côtes grecs.
Ibrahima Bah : Ibrahima a été arrêté en décembre 2022 après que le canot pneumatique qu'il conduisait pour traverser la Manche se soit brisé. Quatre hommes se sont noyés dont celui qu'Ibrahima décrit comme son frère avec qui il voyageait depuis la Libye, et jusqu'à cinq sont toujours portés disparus en mer. Le jury, le juge, la défense et l'accusation ont convenu que le naufrage et les décès qui en ont résulté étaient dus à de multiples facteurs. Parmi ceux-ci, la mauvaise construction du bateau, l'infiltration d'eau après un certain temps en mer et le fait que tout le monde se soit levé pour être secouru, ce qui a provoqué l'éclatement du plancher du canot pneumatique. Un rapport d'Alarm Phone et de LIMINAL souligne d'autres facteurs, notamment l'absence de surveillance aérienne, le fait que les Français n'ont pas lancé d'opération de recherche et de sauvetage lorsqu'ils ont été informés de la détresse du canot pneumatique, et le fait que le capitaine du bateau de pêche qui a tenté de secourir les passager.e.s ait tardé à informer les garde-côtes de Douvres de la gravité du naufrage. De surcroît, Ibrahima a expliqué le fait qu'il avait d'abord refusé de conduire le bateau après avoir constaté qu'il était trop petit et trop abîmé pour transporter tous les passager.e.s vers l'Angleterre mais qu'il avait subi des pressions pour finalement prendre la barre. Néanmoins, la Cour Suprême de Canterbury a décidé de condamner Ibrahima Bah à 9 ans et 6 mois de prison pour homicide involontaire et facilitation à l'entrée illégale sur le territoire britannique.
A la frontière franco-britannique, un réseau s'est formé en Angleterre depuis 2022, puis en début d'année dans le nord de la France. Côté britannique, la Nationality and Borders Act 2022 criminalise les personnes ayant facilité l'entrée illégale sur le territoire. Plus récemment, il a été constaté que les autorités françaises arrêtaient de manière quasiment systématique des personnes durant des tentatives de traversées vers le Royaume-Uni suite à des décès dans les eaux françaises.
Depuis 2021, au moins huit personnes ont été arrêtées dont sept depuis le naufrage du 12 août 2023 qui avait entraîné la mort de six personnes. Parmi les sept, un jeune homme mineur au moment du naufrage vient d'être relâché sous contrôle judiciaire suite à un an de détention provisoire (un an étant le maximum légal de détention provisoire pour les mineur.e.s). Si la première personne arrêtée en 2021 semble avoir été libérée, tous les autres sont dans l'attente de leur procès.
Les chefs d'accusation sont multiples : (1) homicide(s) involontaire(s), blessure(s) involontaire(s), (2) mises en danger d'autrui, (3) aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour d'un étranger en France ou dans l'espace Schengen (4) ou dans un Etat partie au protocole contre le trafic illicite de migrants annexe à la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale en bande organisée, (5) participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation de délits. Ils encourent jusqu'à 10 ans d'emprisonnement.
Pourtant, comme ailleurs sur les routes migratoires, les personnes amenées à conduire les bateaux ne sont pas les personnes les plus influentes des réseaux de passage. Souvent, elles n'ont pas les moyens de payer la traversée et parviennent à la négocier en faisant valoir leurs expériences passées à la barre des bateaux.
Sans porter un regard naïf sur les dynamiques de pouvoir parfois violentes qui existent dans les réseaux d'aide à la circulation, le réseau de militant.e.s solidaires de ces personnes criminalisées dénonce les politiques répressives des Etats européens. Tant que les droits à se déplacer et s'installer dans un pays sûr ou un pays de son choix pour toustes ne sont pas respectés, l'organisation en réseau de passage est une composante indissociable du besoin des personnes à chercher un endroit sûr pour y construire un avenir. Les entraves à la liberté de circulation multiplient les décès sur les routes en incitant les personnes à emprunter des chemins toujours plus dangereux. En particulier, la criminalisation des capitaines, qui a pour objectif de réduire le nombre d'arrivées vers l'Europe et le Royaume-Uni, a notamment pour conséquences des expériences traumatisantes d'enfermement, et un non-accès au droit d'asile le temps de la procédure judiciaire (l'accès aux services de la préfecture étant presque impossible en prison).
Ce phénomène de criminalisation des capitaines après des incidents mortels en Manche et en Méditerranée est aussi une manière de détourner l'attention publique de la responsabilité morale autant que légale des états à secourir toute embarcation en difficulté, conformément à la convention SOLAS (Safety Of Life At Sea) de 1974 d'une part, et la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 d'autre part. C'est la défaillance, ou le retard dans le lancement des opérations de sauvetage qui est responsable de ces incidents mortels, pas la personne qui conduit le petit bateau.
Pour finir, il semble nécessaire de ne pas omettre que la criminalisation de la circulation à travers les frontières des États européens concerne également les frontières terrestres (comme mentionné plus haut dans le cadre de l'affaire Homayoun). En effet, à la frontière Greco-Turque, entre la France et l'Italie, mais aussi entre la France et l'Espagne, des personnes sont également jugées et emprisonnées pour avoir conduit un véhicule transportant des personnes sans papiers.
Collectif de soutien aux personnes criminalisées à la frontière