L'année 2022

Sommaire

Les activités du réseau de la Plateforme des Soutiens aux Migrant.e.s s’inscrivent dans un contexte de politiques publiques toujours plus inhumaines, coûteuses et inefficaces, la période post-Brexit ouvrant la porte à des initiatives d’accords ou de conventions internationales méprisant les droits les plus fondamentaux des personnes en exil.

En effet, sous fond de bataille diplomatique entre la France et le Royaume-Uni et loin de rechercher des solutions sur le long terme qui soient respectueuses des droits des personnes à la frontière, les gouvernements s’enfoncent toujours plus dans des politiques répressives et dissuasives, avec des décisions aussi incertaines qu’inattendues. C’est le cas de l’accord entre le Royaume Uni et le Rwanda dont la signature a été annoncée le 12 avril 2022, initiative phare du nouveau “Plan immigration” du gouvernement, qui constitue un pas de plus dans l’externalisation de la frontière, s’attaquant cette fois-ci au droit d’asile des personnes arrivant sur le sol britannique. Pourtant, des records de traversées transmanches ont été enregistrés en 2022, les politiques publiques mises en place pour empêcher les personnes exilées d’atteindre le sol britannique ne parvenant qu’à augmenter toujours plus la dangerosité du passage.

La démesure des politiques publiques en termes de répression sur les personnes exilées se répercute à une échelle locale, où les associations et mouvements citoyens sont toujours plus entravés dans leurs activités et leurs actions. En février 2022 cette politique a mené à mandater l’envoi du RAID à Calais, dont le mandat est de « lutter contre le crime organisé, le grand banditisme, et le terrorisme », pour expulser les occupant.es d’un immeuble qui réclamaient des hébergements inconditionnels pour tou.te.s. Enfin, laissant les personnes en situation de transit dans le plus grand dénuement, l’Etat persiste sa politique hostile “de lutte contre les points de fixation” en s’acharnant quotidiennement à maintenir une présence policière répressive importante et à expulser les lieux de vie.

I. Une politique d’externalisation de la frontière sans limite ?


1. Un arsenal répressif franco-britannique qui se poursuit


L’année 2021 accueillait un nouvel accord entre la France et le Royaume-Uni, prévoyant le doublement des effectifs policiers et des dispositifs de surveillance en France pour pas moins de 62,7 millions d’euros, les avions de surveillance de Frontex ont commencé à survoler le littoral suite aux naufrages coûtant la vie à plus d’une trentaine de personne. La sécurisation de la frontière franco-britannique s’est poursuivie en 2022 avec notamment des mesures prévues au sein d’un nouveau Plan immigration du Royaume Uni :

Toujours dans le cadre de la sécurisation de la frontière, un projet nommé « Terminus » prévoit l’installation de caméras, financées par le Royaume-Uni, sur l’ensemble des communes du littoral nord à des « points stratégiques pour lutter contre les traversées migratoires ». Si des villes du littoral, comme Sangatte ou encore Marck ont commandé aux Anglais plus de douze à dix-huit caméras, elles ne verront finalement pas le jour, sauf dans le Calaisis. Ce dispositif s’inscrit dans une cybersurveillance plus large documentée par Médiapart dans son article « Cybersurveillance, le business des frontières (1/4) Reportage : À Calais, une surveillance du ciel au tunnel » qui s’intéresse aux moyens de surveillance relevant de l’intelligence artificielle. Le travail de Pierre Menzildjian dans le cadre de sa mission à la frontière franco-britannique en partenariat avec Migreurop et la PSM aborde également ces thématiques.

La sécurisation se poursuit également du côté de la Normandie, où le port de Cherbourg s’est vu attribuer 3,2 millions d’euros par les Britanniques dans les cadre des accords de financement cités plus haut (à hauteur de 62,7 millions pour le renforcement des contrôles aux frontières), pour entamer des travaux de « sécurisation du port » afin entre autres d’améliorer les éclairages, les points de contrôles, ou encore de réhausser de 4 mètres les clôtures des espaces dédiés au port de commerce pour « mieux garantir les installations portuaires d’intrusions diverses, et notamment de migrants ».

En parallèle de tous ces dispositifs, le Royaume-Uni a dévoilé la mesure phare de ce Plan immigration : un accord d’externalisation de la demande d’asile au Rwanda.

  • Avril 2022 : Accord Royaume-Uni – Rwanda : le 12 avril 2022, Boris Johnson, alors premier ministre, annonce la signature d’un accord avec Paul Kagame, président du Rwanda, pour envoyer les demandeurs d’asile arrivés au Royaume-Uni vers le Rwanda, où sera étudié le traitement de leur dossier. Ce genre d’accord d’externalisation et de sous-traitance de la gestion des migrations n’est pas nouveau dans le paysage européen. En effet, dès le début des années 2000 des accords multilatéraux et bilatéraux se multiplient avec les pays d’origine et de transit. Toutefois, ces accords visent jusqu’à maintenant, à empêcher l’arrivée des personnes exilées sur le territoire européen. Si ce type d’accord mène à des violations systématiques des droits fondamentaux et des Conventions internationales, ce dernier est également largement dénoncé par l’ONU et les associations de défense des droits humains comme étant « illégal ». En juin, la justice britannique autorise l’expulsion de demandeurs d’asile vers le Rwanda, et au moins 130 personnes se sont vu notifier leur possible départ, un deuxième vol est prévu un mois plus tard. La société civile a mené une large campagne au Royaume Uni #StopRwanda en parallèle d’actions en justice au niveau de chaque notification individuelle et aussi un recours contre l’accord lui-même. In extremis, sur les recours individuels, la Cour européenne des droits de l’Homme a annulé les derniers vols prévus. Le Home Office maintient pourtant son intention de “relocaliser” les personnes au Rwanda, et refuse d’abandonner ce projet afin d’ empêcher les demandes d’asile des personnes traversant la Manche. Ainsi, courant octobre, le gouvernement fait de nouvelles annonces, se targuant une nouvelle fois d’empêcher toutes personnes arrivées « illégalement » de pouvoir demander l’asile dans le but de réduire le nombre de personnes prises en charge par le Royaume-Uni. Une prise en charge qui montre d’ailleurs ses limites et dysfonctionnements, alors qu’on apprenait en juin, que depuis 2020 plusieurs dizaines de demandeurs d'asile vulnérables sont morts dans les sites d'hébergement sous la responsabilité du Home Office.

La dissuasion commence dans les pays d’origine, comme on peut le lire dans «The Independent», qui révèle que le gouvernement britannique finance Seefar, une entreprise établie à Hongkong, pour convaincre les candidats à l’exil de ne pas prendre la route.

  • 14 novembre 2022 : Nouvel accord entre la France et le Royaume-Uni pour rendre les “traversées non-viables ”. 72,5 millions d’euros vont être versés à la France pour renforcer la sécurisation à la frontière. L’accueil des personnes n’a aucunement été mentionné dans l’accord. C’est le 23ème accord depuis 30 ans

2. Poursuite des politiques répressives et dissuasives sur l’ensemble du littoral


"Parce que l’État français est tenu par les traités bilatéraux signés avec la Grande-Bretagne, il ne peut ni organiser les « flux », ni laisser passer les personnes exilées. Il met ainsi en scène la fermeture de la frontière et le contrôle des « flux » migratoires en harcelant les personnes exilées, en les expulsant, en entravant leurs déplacements, il empêche et retarde alors leur stabilisation juridique. Il contribue également à accroître les risques pour les personnes, dont la vie est régulièrement menacée".

P. Bonnevalle p.14


a. L'Etat poursuit sa politique de « non-accueil » des personnes sur l’ensemble des lieux de vie du littoral


En 2022, l’État continue de créer un environnement hostile autour des personnes en exil. Cette politique assumée s’est manifestée principalement autour de deux pratiques. La première vise directement les lieux de vie de tout le littoral par sa politique « d’évitement des points de fixation » et se manifeste par des opérations de harcèlement, violences et destructions quotidiennes des habitats des personnes. Ces violences d’État, assimilables à des traitements inhumains et dégradants, sont doublées d’une deuxième pratique : la criminalisation des aidant.e.s. Les associations sont entravées et criminalisées dans leurs activités. alors même qu’elles pallient à une quasi-inaction des pouvoirs publics pour assurer un minimum des droits fondamentaux des personnes (accès à l’eau et à des repas, aux soins, à l’information sur les droits, etc.),

Cherbourg

En 2022, 50 à 60 personnes afghanes (sur)vivent dans un campement qui existe depuis 4 ans aux marges de la ville, et tentent le passage vers l’Irlande ou l’Angleterre. La municipalité, à travers le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS), ainsi que la Permanence d’Accès aux Soins de Santé (PASS), et la Croix rouge ont mené une opération les 12, 13 et 14 janvier en accueillant les personnes dans un gymnase à proximité de leur lieu de vie. Cette opération était destinée à éradiquer une épidémie de gale. Les bénévoles d’Itinérance Cherbourg ont profité de cette mise à l’abri pour supprimer les installations vétustes sur le campement et les remplacer par de plus grand abris, qui permettent d’accueillir des plus petites tentes, pour faire bénéficier les personnes d’espaces plus respectueux de leur intimité.

Des travaux démarrés à l’été 2022 sur le port de Cherbourg ont consisté à rehausser les clôtures à 4 mètres, les doubler, installer entre les rangées des concertinas (des barbelés munis de fines lames de rasoirs), augmenter l’éclairage sur la zone portuaire, repenser les voiries, sécuriser les accès. Il s’agit de renforcer les contrôles frontaliers côté français, dans le cadre du dispositif ISPS (International Ship and Port Facility Security) dont l’objectif est de “prévenir et détecter les menaces dont l’immigration clandestine”. Ces travaux coûtent 3,2 millions d’euros et sont financés par le Royaume-Uni.

Ouistreham

Depuis juin 2021, le campement où (sur)vivent en moyenne 60 personnes Soudanaises est menacé par la volonté du Syndicat Ports de Normandie d’expulser le bois. En 2021, une requête de référé « mesures utiles » aux fins d’expulsions avait été initiée par le syndicat Ports de Normandie qui revendique la propriété de la parcelle sur laquelle le lieu de vie est installé. La requête a été rejetée deux fois consécutives, par le tribunal administratif de Caen, puis par le Conseil d’Etat, au motif que la parcelle ne relève pas du domaine public du Syndicat, et que la juridiction administrative n’est donc pas compétente pour juger de la demande d’expulsion.

En juin 2022, le syndicat des Ports de Normandie persiste et porte la requête cette fois-ci au Tribunal Judiciaire. L’audience a lieu le 30 juin avec près de 150 personnes mobilisées devant le tribunal : une douzaine de jeunes Soudanais vivant à Ouistreham, des associations, des collectifs, des personnalités politiques locales, des syndicats, des militant.e.s et des citoyen.nes devant le tribunal judiciaire de Caen pour soutenir les personnes exilées de Ouistreham. Voir le communiqué des Citoyen.nes en Luttes. Les personnes exilées qui vivent sur le campement étaient défendues par Maître Cavelier qui a présenté, entre autres, 45 attestations de témoins et ainsi démontré que ce lieu de vie permet aux associations d'intervenir pour subvenir aux besoins vitaux, informer et accompagner dans leurs droits sur le territoire français les exilés du campement, face au syndicat des Ports de Normandie (PNA).

La délibération a été rendue le 6 septembre, le juge demandant des éléments sur un moyen soulevé : que le syndicat apporte la preuve de la propriété de la parcelle et reportant à une nouvelle audience ce débat. Cette audience a eu lieu le 6 octobre dernier, avec une centaine de personnes mobilisées devant le tribunal pour soutenir les personnes du campement. Bien que douze personnes habitant.e.s du campement étaient présentes, seule une a pu assister à l’audience du fait de restrictions décidées par le juge. Le délibéré a été rendu le 10 novembre 2022, le président du tribunal judiciaire de Caen considère que le PNA ne démontre pas être propriétaire du bois et rejette donc leur demande d’expulsion du campement. Le PNA n’a pas fait appel, c’est une victoire pour les lieux de vie et le réseau !

Alors que deux maisons squattées à Ranville ont été expulsées en octobre 2021, sur demande de Ports de Normandie, une nouvelle maisonnette a été ouverte à Pointe-du-Siège courant 2022. Ce lieu permet d’héberger des personnes du campement, d’avoir accès à de l’eau, et accueille également des cours de français depuis février.

Une décision du tribunal avait laissé un délai avant expulsion qui courait jusqu’au 12 août. Le lieu a été expulsé le 4 octobre.

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Calaisis (Coquelles, Calais, Marck)

À Calais, sont présentes ou de passage des personnes de nationalité soudanaise, du Sud-Soudan, érythréenne, éthiopienne, somalienne, tchadienne, afghane, iranienne et de façon plus minoritaire, des personnes en provenance d’Albanie, de Turquie, du Kurdistan iranien et Irakien, du Liban, du Pakistan, du Koweït, du Yémen, de Syrie, d’Égypte, mais aussi du Niger, du Nigeria, du Maghreb, et d’Afrique de l’Ouest.

Toujours aucun accueil adapté et pérenne n’est proposé aux personnes en transit à Calais et les opérations de harcèlement et de destructions perdurent quotidiennement. Suite aux expulsions de tous les lieux de vie situés sur les zones industrielles aux marges de la ville en 2020, la majorité des personnes vit désormais dans des campements très précaires en centre-ville (sous les ponts, derrière un hôtel près de la gare, dans les parcs) ou sur des friches à proximité d’habitations (Fort Nieulay, friche Magnésia dénommée Unicorn, Hospital Jungle, BMX, et rue de Judée/Old lidl à proximité de la zone Transmarck).

On dénombre pas moins de 13 lieux de vie sur l’ensemble de l’année dans le Calaisis.

Le collectif HRO dénombre pas moins de 1 700 expulsions de lieux de vie aboutissant à la saisie d’au moins 3 267 tentes et bâches à Calais sur la période allant de novembre 2021 à novembre 2022.

Les dates qui ont marqué le contexte Calaisien :

  • Le 24 mars : L’Etat est condamné pour voie de fait par la Cour d’appel de Douai, suite à l’expulsion du 29 septembre 2020. La Cour reproche à la préfecture d’avoir pris l’initiative de l’expulsion et temporairement privé de liberté les occupants du site, sans cadre juridique adéquat. Depuis, la décision a été annulée par le Tribunal des conflits, jugeant le juge judiciaire incompétent, et de fait annulant la possibilité de faire reconnaître une voie de fait commise par l’Etat.
  • Une opération d’ampleur a eu lieu le 3 mai : expulsion du lieu de vie BMX, où vivent principalement des personnes érythréennes. L’association mandatée par l’Etat, la Vie Active, met fin aux distributions en eau et nourriture sur ce site.
  • Le 13 septembre, les personnes présentes sur le lieu de vie près de la gare apparu dès juillet après plusieurs expulsions d’ampleur, dont de nombreuses familles, sont brutalement expulsées à 5 heures du matin. Pour éviter que des personnes ne s’y réinstallent, la mairie fait installer des rochers pour 45 000 euros.

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A Marck, le campement « Old lidl » est l’un des campements le plus habité, avec jusqu’à 1000 personnes2 cette année. La plupart des habitant.e.s de ce lieu de vie sont issu.e.s de la communauté soudanaise.

Le 28 février 2022, Abubaker, un habitant de ce lieu décède, dans les 23 heures le lieu sera expulsé et la voie ferrée clôturée.

“Abubaker est décédé percuté par un train à l’endroit où les rails longent le lieu de vie. Un endroit où aucun panneau ne signale le danger d’un train roulant à grande vitesse, où aucune barrière ne délimite le chemin, où aucune alarme ne prévient de l’arrivée d’un train. Un endroit, comme ailleurs dans Calais, où les autorités semblent penser que la vie des personnes exilées n’est pas à protéger. Lettre de ses proches et de sa famille avec le soutien du Secours Catholique (voir en annexe la lettre complète).

La clôture de la voie ferrée a donc été faite dans ce contexte, sous la pression des associations, et suite à un entretien avec la SNCF pour protéger les habitant.e.s du lieu. Pour rappel, en septembre 2021 avait été creusée une douve, et érigé un talus, depuis complété par des rochers afin d’empêcher les personnes solidaires de distribuer nourriture, eau et matériel de première nécessité. Ce qui a fait que les personnes utilisaient la voie ferrée pour sortir du lieu de vie plus facilement.

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Grande-Synthe

Dans le Dunkerquois, sont présentes ou de passage des personnes majoritairement d’origine kurde irakienne ou kurde iranienne, de nationalité iranienne, afghane, pakistanaise, vietnamienne et de façon plus minoritaire, des personnes en provenance du Koweït, du Yémen, de Syrie. Des personnes transitant par Calais, d’origine soudanaise et érythréenne, suivant les conditions de passages favorables, sont aussi venues vivre sur les campements de Loon Plage. L’été 2022 a également vu apparaître sur les campements une grande majorité de personnes albanaises, notamment des familles avec enfants.

Depuis l’expulsion de grande ampleur fin de l’année 2021 sur des lieux de vie de Grande-Synthe, les personnes ont été repoussées et contraintes de s’installer à Loon-Plage. Changement de ville, mais pas de changement dans la politique de harcèlement : sur l’année 2022, le collectif HRO dénombre pas moins de 38 expulsions jusque septembre, lors desquelles pas moins de 112 personnes sont arrêtées.

Près d’une zone industrielle, éloignée de la ville, 400 à 600 personnes ont survécu cette année bien qu’il n’y ait aucun dispositif d’Etat en matière d’accès à l’eau et aux repas, aux soins, à l’information, etc Concernant l’accès à l’eau :

De plus, ces lieux de vie ont connu de nombreuses violences tout au long de l’année. Voici une partie du communiqué de presse inter-associatif du 29 septembre dernier : "Depuis fin août, plusieurs tentatives de meurtre ont eu lieu sur les campements informels du Dunkerquois. Douze personnes ont été blessées, et parmi elles, un jeune homme est décédé des suites de ses blessures. Plusieurs enquêtes sont en cours et la présence policière visible s’est fortement accrue, mais, nous, collectifs et associations accompagnant ces personnes au quotidien, déplorons l’absence d’accompagnement et de protection des victimes, témoins et habitant.es de ces zones de non-droit.”

Steenvorde

A Steenvoorde, l’accueil de jour créé il y a quelques années n’est plus d’actualité. L’accueil se poursuit en 2022 avec la location d’une maison par l’association Terre d’Errance Steenvoorde qui a vocation à être un lieu de repos pour les personnes exilées venant de Calais en quête de répit.

Angres

Jusqu'en août 2022, une dizaine de personnes soudanaises (sur)vivaient toujours dans un fossé en zone rurale, soutenues par différentes associations, Debout ensemble, le Collectif Fraternité Migrants Bassin Minier 62. Des associations de solidarité de la communauté musulmane de l’arrondissement d’Arras se relaient pour apporter des biens de première nécessité, ou soutenir les personnes lors de la période du Ramadan. Aujourd’hui, au gré des passages des personnes au Royaume Uni, plus personne ne (sur)vit dans ce fossé, bien que les associations solidaires soient toujours actives sur le territoire d’Artois. Les restes du campement ont été évacués par les bénévoles.

Le Béthunois (Saint Hilaire Cottes, Quernes)

A Quernes, près de 65 personnes (Soudanaises, Érythréennes et Ethiopiennes) avaient rejoint le campement créé après l’expulsion du campement de Norrent Fontes en 2017. Seulement deux personnes de ce groupe issu de l’ancien campement étaient toujours présentes début 2022, mais tandis qu’une des deux personnes a demandé l’asile en France, la dernière personne est passée au Royaume Uni en octobre. Un petit groupe de 4 nouvelles personnes (sur)vivent depuis peu sur ce campement.

Sur le secteur de Saint Hilaire Cottes, le nombre de personnes exilées Érythréennes présentes se maintient à 12. Elles sont hébergées chez des bénévoles de Terre d’Errance Norrent Fontes tous les week-ends. De façon aléatoire, et liées à un arrêté anti-bivouac, des interventions de la gendarmerie avaient lieu pour les chasser de ce secteur depuis 2019. Suite à un courrier interassociatif envoyé à la mairie de Saint Hilaire en 2021, ces opérations n’ont plus lieu, mais l’arrêté est toujours placardé à proximité du campement. L’association Terre d’Errance Norrent-Fontes continue à mener des actions de sensibilisation, comme le 10 avril, lors de laquelle une journée de rando-VTT de sensibilisation dans les villages du Béthunois a été organisée, intitulée " Les chemins de l'exil “ .

b. La poursuite des entraves et criminalisation des aidant.e.s


Ricochet de la politique de harcèlement des personnes exilées, la criminalisation des aidant.e.s à la frontière s’est particulièrement manifestée à Calais à travers une politique continue de contrôles policiers et de verbalisation des bénévoles. A tel point que les solidaires ont créé une campagne autour du slogan #SolidaritéEntravée lancée sur les réseaux sociaux en juin 2022 et ont bénéficié du renfort d’observatrices et observateurs du maintien de l’ordre de la Ligue des Droits de l’Homme venant de Paris, Nantes et Toulouse pour observer les entraves et outiller les bénévoles.

Dans le Calaisis et le Dunkerquois, les associations ont également vécu des entraves à leurs actions particulièrement importantes, que ce soit par la pose de plots en béton mis à l’entrée du campement de Loon Plage, le retrait ou la détérioration des cuves d’eau ou par l’enrochement de lieux de distribution.

Cette criminalisation s’est aussi traduite de façon spectaculaire à Calais autour des militant.e.s du droit au logement qui avaient ouvert des squats, avec l’intervention du RAID pour déloger un immeuble, et l’expulsion de ressortissants britanniques du territoire français. En parallèle, les solidaires vivent régulièrement des arrestations et gardes à vue, et une surveillance et un contrôle qui se resserrent notamment autour des maisons de répit.

  • La politique des arrêtés préfectoraux interdisant la distribution d’eau et de nourriture débutée en septembre 2020 à Calais, s’est poursuivie jusqu’en septembre 2022 jusqu’à une victoire des associations au tribunal administratif de Lille.

Des arrêtés préfectoraux sont renouvelés mensuellement depuis septembre 2020, interdisant aux associations non mandatées de distribuer de l’eau et des repas dans certaines rues de Calais. Surfant sur ces entraves, en avril, le député Pierre-Henri Dumont fait même une proposition de loi pour sanctionner « les maraudes illégales et les distributions sauvages de repas aux migrants dans le Calaisis », car « Les arrêtés ne sont pas respectés et les distributions sauvages continuent » . Les recours en annulation initiés dès 2020 et début 2021 demandant l’annulation par le tribunal administratif de 3 arrêtés sur le principe de la fraternité ont abouti à une audience en septembre à laquelle 50 associatifs ont pu assister.

Le 12 octobre 2022, la décision de justice a été rendue en faveur des associations. C’estune victoire en faveur de la solidarité à Calais et un précédent déterminant pour que la préfecture soit limitée dans sa politique d’entraves aux associations.

  • Plusieurs audiences contre la politique de contraventions des aidant.e.s se sont tenues cette année .

Lundi 9 mai, a lieu la première audience au Tribunal de police de Boulogne-sur-Mer pour les contraventions reçues à Calais pendant les différentes périodes de confinement Covid.

Human Rights Observers et Utopia 56 ont contesté systématiquement leurs contraventions. Des audiences au Tribunal de police ont donc pu avoir lieu avec des résultats peu uniformes : Human Rights Observers a eu gain de cause tandis que Utopia 56 non, pour des faits similaires…

Le 20 septembre, une audience a eu lieu au Tribunal administratif de Lille suite à un recours pour excès de pouvoir d’Utopia 56 qui contestait la politique de verbalisation massive de ses bénévoles ainsi que des consignes données par la préfecture pendant les périodes de confinement visant à limiter les déplacements associatifs en soutien aux personnes exilées pendant cette période. Le TA a jugé favorablement en annulant notamment ces consignes de la préfecture.

  • Intimidations, Arrestations , placements et expulsions des militants du réseau.

17 février : À Dunkerque, un bénévole de Salam est placé en garde à vue pour occupation illicite de terrain (mise à l'abri d'exilé.e.s pour la nuit dans les hangars de la Linière) et dégradation de matériel (la grille)

4 avril : À Calais, lors du meeting de Gérald Darmanin à Calais Nord, une forte mobilisation policière est organisée dans toute la ville et de nombreux contrôles d’identité arbitraires sont effectués pour dissuader les militant.e.s de participer au meeting. Un militant est interpellé un peu plus tard et fait l’objet de poursuites pénales.

29 avril : Suite à un contrôle d’identité aléatoire, un militant britannique (étant aussi l’un des habitants du squat de la maison rue Sauvage) est interpellé et placé au Centre de Rétention Administrative de Lille-Lesquin. Il fait l’objet d’une « Obligation de Quitter le Territoire Français », qu’il n’a jamais reçu et ne peut contester. Il est finalement assigné à résidence à Saint-Omer, et est contraint de quitter la France.

5 juillet : procès au Tribunal d’instance dans le cadre de la procédure d’expulsion de la Maison Rue Frédéric Sauvage. Une dizaine de soutiens sont présent·es. et sont encerclés à la sortie par les services de police et font l’objet d’un contrôle d’identité. Certain·es sont interpellé·es, notamment un militant britannique. Placé en CRA il a fait l’objet d’une « interdiction administrative du territoire », signée par le ministre de l’intérieur, au motif qu'il est un activiste violent qui représente un danger pour la sécurité nationale" et est expulsé très rapidement vers le Royaume-Uni.

Enfin, sur l’année 2022, le collectif HRO dénombre pas moins de 221 intimations et entraves aux observations lors de leurs activités quotidiennes à Calais et sur le Dunkerquois. En voici un témoignage pour le mois de janvier 2022 (vous retrouverez tout le détails ici) :


HRO a enregistré une augmentation des entraves aux observations : les périmètres arbitrairement mis en place n'avaient pour seul but d'empêcher les observateur.rice.s de documenter. Le 04/01, des agents ont bloqué l'équipe HRO avec leur bouclier pour empêcher les observateur.rice.s d'observer et de filmer. Le 21/01, 27 CRS ont escorté deux membres HRO en dehors du lieu de vie. Le 02/01, des CRS ont chassé des observateur.ice.s dont un a été blessé. Un observateur a été violenté alors qu'il aidait les personnes exilées à garder leur tente. Les forces de l'ordre ont chargé deux observatrices et les ont poussé violemment. Une autre observatrice a été blessée par des CRS en tentant de sortir du périmètre. Le 04/01 et 10/01, les observateur.ice.s ont été agrippé par des CRS. Le 19/01, un CRS a poussé avec son arme les membres HRO. Le 21/01, un CRS a marché sur les pieds d'un membre HRO qui a failli tomber. Le même jour, l'équipe HRO a été empêchée de retourner à son véhicule. Le 02/01, 15/01, 17/01 et 23/01, des CRS se sont moqués de l'accent des membres HRO. Un CRS s'est éloigné avec les papiers d’identité des observateur.ice.s pendant plus de 5 minutes. Le 30/01, un CRS a tenu ces propos : “Elles n'ont rien d'autres à foutre elles” et " franchement ça va elle est belle ". En tout, les membres HRO ont subi 13 contrôles d’identité dont 9 le 06/01. En tout, les observateur.rice.s ont été violemment poussé.e.s 8 fois, aucun des CRS n’avait leur RIO visible. En tout, les observateur.ice.s ont été filmés par les forces de l’ordre au moins 21 fois.

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  • Des événements de sensibilisation empêchés par la sous-préfecture

Dans le cadre de la Commission Plaidoyer, à Calais, un premier événement à l’occasion de la sortie des rapports de Pierre Bonnevalle et Marta Lotto, était prévu le 12 février 2022 : “Le Border Show”.

Cet événement, organisé par les associations du Calaisis, partie prenante de la démarche, a été pensé suite au constat du rapport de Pierre Bonnevalle à savoir la théâtralisation de la force et la mise en scène des politiques publiques à la frontière. Il s’agissait de tourner en dérision cette théâtralisation et l’utiliser au travers de stands de sensibilisation et d’éducation populaire afin d'échanger avec les Calaisien.ne.s sur les politiques menées à la frontière. Cet événement devait avoir lieu devant le Parc Richelieu à Calais (lieu symbolique de commémoration après un décès) dans un esprit convivial.

Cependant l’événement a été empêché par la sous-préfecture à deux reprises, le 12 février et le 7 mai.

  • Prétextant un retard dans les 3 jours de prévenance d’envoi d’une déclaration, pour la première initiative, et un manque de documentation des dispositifs de sécurité autour de l’évènement, la sous-préfecture a refusé de délivrer un récepissé de déclaration de manifestation, forçant les associations organisatrices à annuler et reporter le Border Show. Sur place, le jour où aurait dû avoir lieu l’évènement, 10 camions de CRS étaient postés devant le parc pour “empêcher une manifestation pro-migrants”. Ces échanges avec la sous-préfecture avaient lieu la même semaine que l’intervention du RAID sur l’immeuble squatté.
  • La deuxième initiative a reçu une fin de non recevoir par courrier, la sous-préfète indiquant qu’il fallait demander à la mairie une occupation du domaine public, puisqu’il ne s’agissait pas d’une manifestation mais d’une sensibilisation sous forme de kermesse. Malgré une réunion avec les associations déclarantes, elle a maintenu son point de vue, et a menacé de faire intervenir les forces de l’ordre en cas de “rassemblement non déclaré” tout en indiquant que le Border show n’était pas revendicatif et correspondait à un stand de sensibilisation.

Les associations organisatrices, face à cette restriction, ont préféré tenir des stands dans des brocantes de la ville pour maintenir des évènements et diffuser les rapports auprès des Calaisien.nes.

Cette politique de non-accueil mise en place depuis près de 30 ans déjà, coûteuse et toujours inefficace, se poursuit donc, malgré ses conséquences mortifères. C’est une « politique du laisser-mourir », avec plus de 350 personnes mortes à la frontière depuis 1999, et près de 55 personnes depuis Septembre 2021.

3. Résistances à la frontière : entre mobilisations, essoufflement et stratégies de survie


a. La multiplication des mobilisations


La mort de Yasser, en septembre 2021, a marqué un enchaînement de protestations, d’actions et de mobilisations citoyennes (organisation d’une manifestation par la communauté soudanaise le 28 septembre, grève de la faim en octobre, blocage des expulsions en novembre et manifestation en soutien aux grévistes à Calais, Paris, Dunkerque, collages dans les villes etc.). Le mouvement s’est poursuivi en 2022 :

  • 6 janvier : début d’une occupation de l’hôtel de ville de Calais, en relais et qui durera 32 jours.
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  • Janvier : Ouverture du squat de la « maisonnette » à la Pointe du Siège, en soutien aux personnes exilées (sur)vivant sur le campement de Ouistreham.
  • 4 février : Sortie des deux rapports d’enquête de la PSM sur « 30 ans de fabrique politique de la dissuasion », une analyse de trente années de politiques publiques à la frontière franco-britannique, réalisée par Pierre Bonnevalle, politologue.Et aussi, « On the Border : La vie en transit à la frontière franco-britannique », une enquête auprès des personnes exilées bloquées à la frontière franco-britannique, réalisée par Marta Lotto, anthropologue.

La sortie de ces rapports a donné lieux à différentes actions, et temps d’échanges :

- Exposition aux Beaux-Arts de Caen, avec près d’une cinquantaine de personnes, le 2 janvier.

- Conférence à l'Université de Dunkerque, avec près de soixante personnes, le 4 février.

- Campagne de collage dans Calais, le 4 février. - Tentative d’organiser un événement de sensibilisation autour des rapports, intitulé le « Border Show », empêché deux fois par la préfecture.

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-Temps d’échanges en Juin, à Lille lors d’un ciné-débat autour du film “Traverser”.

-Conférence le 8 octobre à Montreuil-sur-mer, autour du rapport de Pierre Bonnevalle, par l’association ECnou.

-Événement à Caen les 16 et 17 Novembre autour des rapports, (expositions, table ronde, projection de film…)

  • 6 février : Journée internationale de Commemoraction des personnes mortes et disparues aux frontières
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  • 7 février : Des militant·es annoncent l’occupation depuis plus de 48h de deux bâtiments vides. Le premier, un grand bâtiment, dans le quartier du Fort Nieulay, est vide depuis plus d’un an. Il sera rapidement assiégé par la police,ne laissant entrer personne, empêchant ainsi l’approvisionnement en eau, nourriture et matériel, pour les personnes occupant l'intérieur du bâtiment.

Il sera expulsé le 11 février par le RAID.

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Le deuxième lieu est une maison rue Frédéric Sauvage qui fait l'objet d’un litige entre les différents propriétaires, inhabitée depuis plus de 10 ans. La maison est toujours occupée aujourd’hui par une trentaine de personnes exilées. Les propriétaires ont engagé des procédures d’expulsion devant le tribunal judiciaire, les audiences connaissant des reports tout au long de l’année 2022. La compétence du tribunal de proximité de Calais est actuellement contestée par l’avocate des habitant.e.s. le 26 octobre 2022, le juge a statué 3 ans de sursis avant l’expulsion de la maison.

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  • Jeudi 17 mars : Cérémonie des Barbelés Awards : les pires dispositifs anti-exilés. Organisé au Cinéma de l’Alhambra à Calais par la Cabane Juridique et le collectif des associations Unies, cet événement a réuni une majorité d’acteurs associatifs et de militant.e.s autour d’une cérémonie pointant avec humour tous les dispositifs anti-exilés qui ont vu le jour à Calais et à Grande-Synthe (grillage, murs, barbelés, technologies de pointe…).
  • Avril 2022 : Installation de boîtes aux lettres sur les lieux de vie par HRO et des militant.e.s pour permettre aux habitant·es d’exercer leur droit de se défendre devant un juge. Elles sont rapidement détruites par les services de police.
  • 4 avril : Meeting de Gérald Darmanin dans la salle du Minck, à Calais Nord. Forte présence policière dans le centre-ville, de nombreux contrôles d’identité arbitraires sont effectués pour dissuader les militants de participer au meeting. Un militant est interpellé un peu plus tard et fait l’objet de poursuites pénales avec une audience courant octobre.
  • 30 juin : Mobilisation de 200 personnes devant le tribunal Judiciaire de Caen en soutien aux habitant.e.s d’un lieu de vie menacé d’expulsion.
  • 5 juillet : Mobilisation au tribunal d’instance dans le cadre de la procédure d’expulsion de la Maison Rue Frédéric Sauvage. Une dizaine de soutiens sont présent·es Le même-jour, le Tour de France arrive à Calais. Une mobilisation s’organise près de la ligne d’arrivée et en haut du cap Blanc-Nez. Des militant.e.s ont inscrit sur des T-shirt blanc, des phrases reflétant le contexte migratoire à la frontière.

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  • 28 septembre : Manifestation et événement à Calais qui accueille « les Caravanes » dans le cadre du mouvement « Rights, No deaths ». Le 28 septembre 2022, date des un an de la mort de Yasser Abdallah, fauché par un camion près d'un parking à Calais, est organisé un rassemblement afin de soutenir la marche européenne "RIGHTS! NO DEATHS". Le rassemblement a eu lieu devant le parc Richelieu, endroit où les Calaisiens solidaires et personnes exilées ont l'habitude de se retrouver à la suite d'un décès pour dénoncer les politiques meurtrières de l'Union Européenne et des gouvernements français et britanniques.

Les personnes ont ensuite rejoint la Maison d’Entraide et de Ressources pour une rétrospective des événements passés depuis la mort de Yasser.

  • 6 octobre : Mobilisation d’une centaine de personnes devant le tribunal Judiciaire de Caen en soutien aux personnes habitant.e.s un lieu de vie menacées d’expulsion.
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  • 24 novembre à Dunkerque, une commémoration a été organisée suite au 1 an du naufrage qui aura coûté la vie à au moins 27 personnes dans la Manche et 4 personnes disparues.
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  • 18 décembre 2022 : A l’occasion de la journée internationale des migrant-e-s, des citoyen-ne-s ont mené une action devant le Commissariat de Calais Nord pour bloquer les véhicules d’APC participant aux "nettoyages" des expulsions.
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b. Un maintien des envois de courriers classiques d’interpellations mais aussi des réunions avec différentes collectivités et autorités


Malgré le découragement des acteurs associatifs face aux réponses insuffisantes des autorités aux courriers envoyés depuis déjà plusieurs années, cette action a été maintenue en 2022, permettant de documenter formellement les contextes de (sur)vie des personnes exilées, et les demandes associatives associées. Les associations ciblent des demandes précises par rapport aux compétences particulières des autorités, pour obtenir des évolutions tangibles. Ainsi, sur chaque territoire, les interpellations ont consisté en des demandes très ciblées :

  • A Calais :

-En septembre, des courriers sur la collecte des déchets ont à nouveau été envoyés à la communauté d’agglomération du Calaisis, et la sous-préfecture de Calais. La réponse en 2021 était la suivante : aucun des deux ne se reconnaissent compétents pour le ramassage des déchets près des lieux de vie. Les courriers en 2022 tendent à rappeler les compétences afférentes à chacun : la compétence spéciale de la mairie, déléguée à la communauté d’agglomération (article L-2224-13 du Code général des collectivités territoriales) ; le pouvoir de substitution de la préfecture en cas d’inaction d’une mairie dans l’exercice de son pouvoir de police (article L-2215-1 du CGCT). La réponse de la mairie était cette fois-ci différente : elle indique les mesures prises à ce sujet avec un mandat donné à une association pour des ramassages dans différents lieux, mais indique s’agissant des demandes d’équipement : « La question de l’installation de bennes sur les lieux de vie concernés est plus délicate, tant pour des raisons de sécurité que d’hygiène. Cela étant, j’ai pris note de votre requête et vais étudier celle-ci avec les services compétents. » La préfecture n’a pas répondu au courrier lui demandant d’exercer son pouvoir de substitution, en toute logique au vu de la nouvelle action de la mairie autour des déchets – bien qu’insuffisante et non systématisée sur l’ensemble des lieux de vie.

-Des courriers sur l’accès à l’eau à Calais ont été à nouveau envoyés, en particulier à destination de la préfecture et la sous-préfecture. Un rendez-vous thématique sur l’eau a eu lieu avec la Direction départementale de l'Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS) de la préfecture, l’association mandatée La Vie Active, et les associations indépendantes, lors duquel ont pu être présentées des demandes claires sur le long terme et le court terme sur les différents usages de l’eau et sur l’ensemble des campements. Cette demande prend la forme d’un principe cadre, ainsi qu’un document de propositions techniques réalisables pour améliorer l’accès à l’eau sur les campements. Si des refus ont été établis sur certaines propositions à la réunion thématique puis à la réunion mensuelle avec la préfecture, des perspectives de négociations existent sur différents sujets (tel que le sujet des laveries accessibles aux personnes exilées).

  • Dans le Dunkerquois :

Les associations ont multiplié et réitéré des demandes urgentes sur l’accès à l’eau à destination de différents acteurs : les municipalités (de Loon Plage, Grande Synthe, Gravelines, Dunkerque), la communauté d’agglomération, le Syndicat de l’eau du Dunkerquois, le port de Dunkerque, la sous-préfecture, et même via un député le ministre de l’intérieur.. Ces demandes étaient compliquées à établir du fait que les personnes expulsées aux abords de la ville de Grande Synthe (sur)vivent désormais sur un terrain appartenant au port de Dunkerque, à cheval sur la ville de Loon Plage et celle de Dunkerque. Les municipalités se disent incompétentes pour approvisionner en eau cet espace, le port de Dunkerque et la sous-préfecture refusant cet accès à l’eau.

c. Une instabilité structurelle du réseau


Le retrait total en 2022 de Choose Love – anciennement Help Refugees – comme principal financeur pour une dizaine d’associations et de projets sur le littoral de Calais à Dunkerque a grandement fragilisé une bonne partie du réseau avec pour conséquences :

  • Une réduction des postes structurants long terme et une disparition d’acteurs dans certains projets d’interpellations inter-associatifs. ▪ La restructuration de plusieurs collectifs, bénéfique pour certains (HRO, Refugee Women Center) menant à la création de nouveau poste.
  • La réduction des activités humanitaires par faute de moyens, avec par exemple un retrait du terrain de Collective Aid (association de distribution de matériel) à Grande-Synthe.

Les difficultés du réseau en termes de moyens structurels ont mené plusieurs organisations à des « faire une pause » de façon indéterminée pour certaines structures (La Cabane Juridique, RefugeeInfoBus, Refugee Women Center, Maison Sésame…).

D’autre part, en parallèle de cette fragilisation du réseau et face aux situations de détresse grandissante avec la démultiplication des traversées et des naufrages, les associations doivent pallier l’absence de dispositif de prise en charge des personnes naufragées par les autorités compétentes. Des collectifs se sont créés autour de ce manque : c’est le cas du collectif boulonnais O.S.E, de l'antenne “maraude littoral” d'Utopia 56.

Du côté de la Normandie, un nouvel acteur a émergé, Vents Contraires, ici aussi pour combler les manquements de l’Etat, cette fois-ci sur l’accès à l’eau.

Enfin de nouveaux lieux ont vu le jour : c’est le cas de la « Maison d’entraide et de ressources » à Calais, qui se veut un lieu d’ancrage, de ressources pour les personnes solidaires et personnes exilées.

d. Une résistance aux politiques répressives par l’organisation de la survie


Il apparaît alors qu’entre associations et migrants, les intérêts à s’engager et les priorités peuvent ne pas être les mêmes. D’où des difficultés à imaginer des actions communes, des projets et des mobilisations qui ne soient pas uniquement occasionnelles. En tant que personnes en transit, dont la vie dans le Nord n’est perçue que comme transitoire et provisoire, il est rare que les personnes aient envie de s’engager pour changer une situation qui, pour eux, représente une parenthèse de vie qu’on veut vite fermer.

Marta Lotto, p.31

L’enquête auprès des personnes en transit sur différents lieux de vie du littoral Nord mené par l’anthropologue Marta Lotto en 2021, et sortie en février 2022, nous livre de précieux éléments d’analyse concernant les revendications des personnes en transit. Marta Lotto parle de « Communauté d’expérience » :

« Tout au long des récits de notre enquête, les personnes interviewées mobilisent en effet le « nous », qui, à travers l’analyse des récurrences de vie, s’avère représenter une communauté d’expérience basée à la fois, sur l’expérience commune de migration depuis un pays à partir duquel les passeports n’offrent pas l’opportunité de se rendre légalement dans les pays souhaités, et à la fois sur l’expérience commune d’un déni de circulation aussi bien que de stabilité, voire d’existence, une fois arrivés en Europe. Cette communauté d’expérience partage également des expériences et des conditions de vie similaires sur l’ensemble du littoral ».

Certaines pistes énoncées par les personnes concernent les conditions de vie présentes : l’accès à des services et à des droits ou à la simple possibilité de ne pas être expulsés, chassés, harcelés par les forces de l’ordre.

Pourtant, Marta Lotto note dans certaines rencontres, « un refus d’être dans la demande, ou dans un discours individualiste [….] certains répondent que ce n’est pas à eux de penser à cela, leur objectif étant de quitter le nord de la France, le plus rapidement possible ».

Elle constate alors que par leur situation de transit, les personnes perçoivent leur condition de vie sur le littoral comme transitoire et provisoire, ceci expliquerait que les personnes n’aient pas envie de s’engager pour changer la situation et démontre une relative indifférence aux perspectives de changement d’une situation qui « pour eux, représente une parenthèse de vie qu’on veut vite fermer ».

Si pour les associations la « résistance » et la solidarité passe par l’organisation de services au quotidien et d’actions ou d’interpellations des décideurs, Marta Lotto nous décrit que « le pouvoir d’agir des personnes se déploie beaucoup plus en termes de résistances aux politiques migratoires, auxquelles elles répondent avec leurs propres corps. Leur horizon d’action se révèle dans leur ténacité à ne pas céder face à toutes les entraves et obstacles à leur présence et à s’organiser pour y résister mieux, collectivement et individuellement. Les personnes peuvent témoigner, s’indigner, trouver des solutions collectives ou individuelles pour survivre dans ce contexte, mais bien souvent elles ne sont pas porteuses d’énergies et de propositions de changement quant au présent ».