À Calais, la France coupable envers les migrants ? Oui, répond Louis Witter à Didier Leschi
Par Louis Witter
4–5 minutes
Il m’est arrivé de croiser Didier Leschi. À Calais, bien sûr, fin 2021, lors de la mission de médiation qui lui avait été confiée alors qu’un père jésuite et deux Mulhousiens en signe de protestation, engageaient une grève de la faim. Et lors de débats sur des chaînes d’information. À chaque fois, j’avais été frappé par ses propos qui balayaient les faits d’un revers de la main.
L’ouvrage dont il parle, La battue. L’État, la police et les étrangers, publié le 3 février dernier aux Éditions du Seuil, est le résultat de plusieurs années passées sur le terrain, à la frontière franco-britannique. Une enquête journalistique menée auprès des exilés d’une part, des bénévoles et personnes solidaires d’autre part, mais également auprès des Calaisiens et Calaisiennes. Mais Didier Leschi ne cite pourtant aucun des faits que je rapporte dans mon livre.
Des faits documentés
Son billet suggère en synthèse que mon livre n’est qu’une tribune politique résumée à « tous des nazis ! » Ce faisant, il nie le travail de journaliste, documenté et sourcé que j’ai mené, et décrédibilise la parole des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont témoigné de leur difficile quotidien à la frontière franco-britannique. Il ne conteste pas le fait que les expulsions des campements sont réalisées toutes les 48 heures, quelles que soient les saisons ou les conditions météorologiques. En 2021, près de 1 300 expulsions de ce type ont eu lieu, accompagnées quasi systématiquement de la confiscation et de la destruction de 7 000 tentes et bâches servant aux personnes à s’abriter.
Il ne conteste pas non plus l’existence pendant deux ans de l’interdiction, par la préfecture, de distribuer gratuitement de l’eau et de la nourriture aux personnes qui en ont besoin dans une trentaine de rues de la ville. Il ne conteste pas les verbalisations par dizaines des bénévoles durant les différents confinements. Enfin, Didier Leschi ne conteste pas les violences, souvent dénoncées et parfois condamnées de certains membres des forces de l’ordre sur les exilés ou les bénévoles. En somme, la critique portée par le directeur de l’OFII fait totalement abstraction des faits que j’ai documentés.
Fébrilité de l’État
Le titre même de son billet pose la question : « La France coupable envers les migrants ? » La réponse est « Oui », et ça n’est pas le journaliste qui le dit mais la justice : la France est bel et bien coupable envers les migrants. La CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) l’a condamnée plusieurs fois (ici, ici ou encore ici) pour mauvais traitements. Et la justice française a elle-même condamné le préfet du Pas-de-Calais pour une expulsion menée par ses services en septembre 2020 après s’être affranchi de l’autorité judiciaire.
Dans ce texte, l’auteur m’attribue injustement certains propos que je n’aurais même jamais osé penser. Où lit-il, dans cette enquête, que tous les fonctionnaires engagés à Calais sont de mon point de vue « tous fascistes » ? Dans un enchaînement d’idées, celui-ci sous-entend que je compare la situation à Calais à celle de la barbarie nazie, que je compare les barbelés encerclant le port et le tunnel aux camps d’extermination. Cela est aussi faux qu’intellectuellement malhonnête.
Mais au-delà de la violente négation des faits, qui par ailleurs n’ont jamais été contestés, ce billet de Didier Leschi me semble traduire la fébrilité de l’État sur ce sujet. Durant ces années d’enquête, j’ai à plusieurs reprises sollicité les services du ministre de l’Intérieur, des préfets et sous-préfets pour qu’ils puissent apporter leurs réponses à mes questions, respectant ainsi l’un des fondamentaux du journalisme. Toutes ces demandes sont restées sans suite. Alors comme d’autres confrères et consœurs, je continuerai donc à raconter le quotidien de cette frontière en ne m’imposant qu’une seule contrainte : rapporter les faits.