Été meurtrier sur nos côtes : comment l’aide aux migrants « tient debout » face à la tempête

Publié le 22 août 2024

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Été meurtrier sur nos côtes : comment l’aide aux migrants « tient debout » face à la tempête

Neuf décès de migrants en un mois au large des côtes du Nord. Des associations menacées par des extrémistes britanniques. Deux fondateurs de structures historiques décédés en quelques semaines. Dure période pour l’aide aux personnes exilées. Comment ces associations tiennent-elles le coup ?

Par Bérangère Barret (textes) et Baziz Chibane (photos)

Publié : 14 Août 2024

  1. « Jamais eu autant de morts dans des accidents différents »

Neuf migrants sont morts en un petit mois sur les côtes du Nord et du Pas-de-Calais. Des décès qui viennent s’ajouter à une année 2024 déjà particulièrement meurtrière dans la Manche : 20 morts et deux disparus en mer depuis début 2024 quand on en a dénombré 15 sur toute l’année 2023.

Infographie VDN

Face à ces drames, les associations d’aide aux migrants s’alarment et répètent un message martelé depuis des mois : la sécurisation renforcée des frontières pousserait les personnes exilées attirées par l’Angleterre à prendre toujours plus de risques. « Il n’y a jamais eu autant de morts dans des accidents différents, souffle Pierre Roques, délégué général de l’Auberge des migrants, association créée à Calais en 2008. La politique actuelle d’empêcher les bateaux de partir dès les plages crée des mouvements de foule au moment de l’embarquement. Il est évident que cette politique ne marche pas et est meurtrière. »

Infographie La voix du Nord

2. Des associations historiques touchées dans leurs fondations

Salam et l’Auberge des migrants sont deux acteurs incontournables dans l’action d’aide aux personnes exilées sur le littoral du Nord et du Pas-de-Calais. Deux acteurs qui ont chacun perdu des figures de poids ces dernières semaines. Jean-Claude Lenoir, 73 ans, président de Salam depuis 2011, est décédé dans un accident de la route le 11 juillet. Triste coïncidence : quelques heures après sa disparition, quatre migrants ont perdu la vie, noyés dans la Manche.

Et exactement un mois plus tard, le 11 août, c’est Christian Salomé, fondateur de l’Auberge des migrants, qui trouvait la mort. « Ce qu’on veut avant tout, c’est faire perdurer l’esprit qu’il insufflait, avance Pierre Roques. Un esprit très inclusif : il acceptait que les sensibilités s’expriment différemment. »

3. Une aide qui s’adapte…

Au fil des parcours migratoires et des conditions de vie des migrants sur notre littoral, les associations font évoluer leur action. « On s’adapte tout le temps à la situation, note Angèle Vettorello, une des trois coordinatrices d’Utopia 56 à Calais. En 2016, on faisait de la distribution alimentaire. Maintenant, c’est de l’aide d’urgence humanitaire. »

Angèle

L’association organise des maraudes le long du littoral, dès que les conditions météo poussent à des tentatives de traversée, « pour essayer d’aider les personnes en détresse en cas de passage raté ». L’évolution des profils a aussi amené à la création de nouvelles associations. Comme Refugee Women Centre qui, depuis 2016 à Grande-Synthe et 2020 à Calais, a pour objectif de créer des espaces dédiés aux femmes et aux enfants, de plus en plus nombreux et très souvent fragilisés. « Il y a des semaines où on compte 100 femmes et 120 enfants sur le campement de Grande-Synthe », s’alarme Louise, coordinatrice à Grande-Synthe. La plupart de ces associations d’aide aux migrants sont regroupées, à Calais, à l’entrepôt de l’Auberge des migrants, devenu une « plateforme humanitaire » où l’action se coordonne. Et se soutient, aussi.

4… mais n’en ressort pas indemne

« La période est très dure. L’Auberge tient debout. Mais c’est vrai qu’on a l’impression d’être un peu seuls quand on voit l’ampleur de ce qu’il faut faire. Il faut apprendre à gérer la frustration. » Pierre Roques la gère, la frustration, depuis six ans. Mais un appui est nécessaire : « On a une personne salariée pour l’ensemble des associations qui propose des groupes de parole et des ressources psychologiques. » « Il faut tenir, dit-il. Mais on n’est pas dans une démarche sacrificielle. »

Pierre

Tenir, c’est aussi ce que font Alexia et Louise, de Refugee Women Centre, quand des personnes dont elles se sont occupées décèdent dans la Manche : « Les deux derniers décès, c’étaient des personnes qu’on avait suivies à Calais. C’est dur… » Mais une conviction les soutient : « On a un sentiment d’utilité au quotidien, on est là pour les gens. »

Angèle, d’Utopia 56, abonde : « Fin juillet, début août, c’était particulièrement intense, démoralisant, dur pour les bénévoles qui découvraient la violence de la situation. C’est une période compliquée, oui. Mais ce n’est pas grand-chose comparé à ce que vivent les personnes exilées. »