A Marseille, des mineurs non accompagnés dans la rue «pour se rendre visibles»

Publié le 19 septembre 2022

A Marseille, des mineurs non accompagnés dans la rue «pour se rendre visibles»

Publié le 4 octobre 2022Samantha Rouchard pour Libération, publié le 19 septembre 2022

La trentaine de jeunes hébergés depuis février dans un squat de la Canebière menacé d’expulsion ont installé un campement symbolique, à l’extérieur, pour alerter sur leur situation. Tous scolarisés, ils sont actuellement en attente d’une décision du juge des enfants pour reconnaître leur minorité.

Ce dimanche soir, c’est le branle-bas de combat au 113 Canebière. La trentaine de mineurs qui vit ici transporte tentes, matelas et de quoi se tenir chaud à une centaine de mètres, un peu plus haut sur la célèbre artère marseillaise. Ce soir, c’est dehors, sous le kiosque à musique de la Place des Réformés, que les jeunes passeront la nuit, et toutes les suivantes. «On a décidé de sortir pour se rendre visible. Jusqu’à ce qu’une solution pérenne d’hébergement soit proposée à ces jeunes. Ils ne veulent ni hôtel pour quinze jours ni des nuits en gymnase», précise Jeanne, du Collectif 113, qui avec d’autres militants a ouvert ce squat en février pour mettre à l’abri des mineurs non accompagnés (MNA) non pris en charge par les services du département des Bouches-du-Rhône.

Le 113 appartient à l’établissement public foncier qui aurait pour projet d’en faire des bureaux pour la Métropole. Le début des travaux est prévu pour mars. Il y a une dizaine de jours, le collectif a appris que l’expulsion du 113 et du bâtiment attenant le 115, lui aussi ouvert au squat par d’autres collectifs pour une vingtaine de MNA à la rue, était imminente. «On a commencé à déménager les affaires vers un autre lieu, pour maîtriser notre expulsion, mais pour les nuits à venir notre lieu de vie sera dehors», souligne Jeanne. Les jeunes ont acté cette décision en assemblée générale. «On n’a pas le choix, il faut défendre nos droits», explique Amara, 17 ans, originaire de Guinée. Tous les jeunes sont scolarisés et ont aussi fait le choix de ne pas aller à l’école le temps de l’occupation.

«Le département le plus condamné de France»

Le lieu du campement est symbolique. Les jeunes y ont installé une banderole : «Ce kiosque appartient à la mairie Printemps marseillais». Même si la municipalité socialiste n’a pas l’hébergement des MNA comme compétence, le Collectif 113 attend des actes de sa part : «Depuis huit mois, la mairie sert d’intermédiaire avec l’établissement public foncier, mais rien ne bouge. Dans d’autres villes comme Lyon, ville, département et Etat ont trouvé un accord pour l’hébergement de ces jeunes. On attend que Marseille en fasse de même», explique Jeanne. Du côté de la mairie, on se dit «très sensible» à la situation, mais sans pouvoir : «On interpelle le département et les services de l’Etat sur leurs responsabilités. Mais nous ne pouvons pas faire “à la place de”. Bien sûr, si nous pouvons être partie prenante de la solution nous le serons», explique Audrey Garino, adjointe aux affaires sociales, qui rappelle : «Nous sommes le département le plus condamné de France sur ces questions. Le tribunal administratif, la chambre régionale des comptes, et la défenseuse des droits ont pointé les défaillances d’accueil des MNA.»

La situation de ces jeunes n’est pas si simple. Ces MNA sont quasiment tous en recours juridique pour une reconnaissance de leur minorité. Dans un premier temps placés en hôtel par l’Addap 13, l’association missionnée par le département pour la mise à l’abri des mineurs et leur évaluation, leur minorité a ensuite été contestée. L’association les a alors remis à la rue. Ces jeunes sont actuellement en attente de passer devant le juge des enfants, seul compétent pour reconnaître la minorité d’une personne. En 2021, sur 587 jeunes évalués par l’Addap 13 dans le département, 248 ont été déboutés de l’aide sociale à l’enfance. A Marseille, ils seraient plus d’une centaine à dormir dans la rue ou dans des squats. «Ces jeunes gens ont le droit de contester la décision du département en saisissant le juge mais, pour nous, ils ne sont plus considérés comme des mineurs non accompagnés», se défend David Le Monnier, directeur général adjoint de l’Addap 13.

«Ils sont dans un vide juridique»

Les évaluations effectuées par le département sont critiquées car jugées «trop subjectives» par les défenseurs des droits des MNA. De même, le jeune qui pouvait auparavant attendre des mois avant d’être mis à l’abri pour évaluation est aujourd’hui évalué rapidement «pour être mis à la rue tout aussi rapidement», pointe maître Laurie Quinson, avocate de certains MNA du 113. «Tous ces jeunes en recours sont dans un entre-deux qui légalement n’est pas vraiment prévu. Ils sont dans un vide juridique. C’est sur cela que l’on va se battre, fait-elle valoir. Car la loi est ainsi faite qu’on a quand même une phase judiciaire qui est autorisée. Dès lors que le jeune a été mis à l’abri avec seulement une évaluation du département, il devrait rester à l’abri dans l’attente des vérifications supplémentaires, qui relèvent cette fois de l’autorité judiciaire.»

«Tout ça nous bouleverse et nous épuise», s’attriste Sekou, 17 ans, originaire de Côte-d’Ivoire, et qui s’apprête à dormir sous le kiosque. Comme pour ses comparses, l’annonce de l’expulsion est «très stressante» «Je trouve cela injuste. Et je me dis que, finalement, la liberté, l’égalité et la fraternité ne sont que des mots… On est venus ici pour aller à l’école et faire nos vies. Pas pour traîner dans les rues.»