Casablanca, « nouvelle frontière invisible »
Casablanca, « nouvelle frontière invisible »
Publié le 28 janvier 2023
Refoulés du nord du Maroc, de nombreux Subsahariens se retrouvent « coincés » dans la capitale économique du royaume, loin des enclaves espagnoles de Ceuta et Mellila.
Par Aurélie Collas, Le Monde, 26 janvier 2023
Il leur reste encore 300 kilomètres à parcourir avant d’atteindre les rives de la Méditerranée. A Casablanca, autour de la gare routière d’Ouled Ziane, les migrants originaires d’Afrique subsaharienne ne sont que de passage. Ou du moins, c’est ce qu’ils espèrent. Après une longue traversée du désert, ils ont dû s’arrêter dans la capitale économique du Maroc. Le long du boulevard, sous un pont, sur le chantier d’un tramway… Ils sont des centaines à survivre dans le dénuement le plus complet, avant de tenter de rejoindre les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, seules frontières terrestres entre l’Afrique et l’Europe.
A Ouled Ziane, les sans-papiers côtoient les sans-abri et les enfants des rues, en un désolant condensé de misère humaine. Des silhouettes enroulées dans des couvertures souillées. Des corps qui s’étirent, endoloris par la rudesse du sol. Des hommes, jeunes – certains mineurs –, mendiant aux feux rouges, parfois pieds nus, un sac plastique à la main contenant leurs maigres affaires.
A deux pas de la gare, des dizaines de Soudanais se sont réfugiés dans une école désaffectée. Le plus jeune a 12 ans. Mahamat a fui le Soudan du Sud, seul, et a traversé le Tchad, le Niger et l’Algérie. Ceuta, Melilla, il connaît. Il a déjà fait le trajet six fois en un an. « Dans mon pays, c’est la guerre, dit-il. Ma famille a voulu que je parte. Ils m’ont laissé un peu d’argent pour le voyage. » Son rêve : étudier en France.
Un peu plus loin, sur un trottoir, des Maliens sont assis sur des cartons qui leur servent de matelas. Ils viennent d’être refoulés du nord du pays. « On essaie d’aller en Espagne, mais tout est compliqué », soupire Amadou, 28 ans, harassé : « A la frontière, on t’arrête, on te bastonne, on te prend tes affaires, on te renvoie à Casablanca ou parfois plus au sud, jusqu’à la frontière mauritanienne. Un jour, à Tanger, ils m’ont arrêté. J’ai passé deux jours en prison, comme si la ville était interdite aux Noirs ! »