Feu vert de la justice britannique aux expulsions vers le Rwanda

Publié le 5 janvier 2023

Feu vert de la justice britannique aux expulsions vers le Rwanda

Publié le 5 janvier 2023

En avril, le gouvernement conservateur de Boris Johnson avait choqué en scellant un accord avec Kigali pour y renvoyer des migrants « illégaux »

Cécile Ducourtieux et Lucie Mouillaud (à Kigali), Le Monde du 21 décembre 2022

Déception du côté des ONG, soulagement du côté du gouvernement britannique : lundi 19 décembre, la Haute Cour de justice pour l’Angleterre et le Pays de Galles a conclu que la décision de Londres d’expulser au Rwanda des personnes demandant l’asile au Royaume-Uni était « légale » . Le fait que leurs demandes d’asile soient examinées par les autorités rwandaises et non par les autorités britanniques est également jugé légal.

Le gouvernement britannique ayant pris des dispositions avec Kigali pour que les demandes d’asile soient « correctement » examinées au Rwanda, les juges ont considéré que le Royaume-Uni ne violait ni la Convention sur les réfugiés de 1951 ni ses engagements dans le cadre du Human Rights Act de 1998 – une loi incorporant la Convention européenne des droits de l’homme de 1953 dans le droit britannique.

En avril, le gouvernement conservateur de Boris Johnson avait choqué les associations d’aide aux migrants et les partis d’opposition en annonçant un partenariat avec Kigali pour envoyer au Rwanda des demandeurs d’asile au seul motif qu’ils seraient arrivés « illégalement » au Royaume-Uni, sans visa, en traversant la Manche en bateau pneumatique.

Cette politique était défendue par la ministre de l’intérieur de l’époque, Priti Patel, pour son supposé effet dissuasif, et conçue comme un élément-clé du dispositif national pour stopper les périlleuses traversées de la Manche en small boats . Mais elle était dénoncée par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, par l’archevêque de Canterbury et primat de l’Eglise anglicane – qui la considère comme « immorale » – et même, à en croire des indiscrétions dans les médias, par le prince Charles (devenu roi en septembre), qui l’aurait jugée « épouvantable ».

Opportunité économique

« Je me réjouis de la décision de la Haute Cour, (…) nous avons toujours défendu le caractère légal de notre accord avec le Rwanda » , a réagi le premier ministre, Rishi Sunak, lundi. Plus pragmatique que ses prédécesseurs Boris Johnson et Liz Truss, M. Sunak, qui est lui-même issu d’une famille d’immigrés – ses parents sont d’origine indienne –, a cependant repris sans état d’âme la défense de leur « politique rwandaise ».

A Kigali, le porte-parole adjoint du gouvernement, Alain Mukuralinda, parle de « décision satisfaisante . On voit des gens mourir en se noyant dans la Méditerranée, ou victimes de trafics d’êtres humains. La décision de la Haute Cour montre une évolution dans la façon de résoudre ce problème » . Selon ce responsable, les autorités locales ont eu plusieurs mois pour se préparer, « de sorte que si demain un avion arrive le Rwanda est prêt à accueillir les premiers migrants » . Les mêmes hôtels, les mêmes termes de l’accord sont toujours en place. « Nous avons signé une convention, nous sommes prêts à l’appliquer, nous sommes prêts à l’améliorer, on attend maintenant qu’elle soit mise en application de l’autre côté. »

Avant la suspension de leur vol, le 14 juin, les passagers du premier charter affrété pour Kigali devaient être logés au Hope Hostel, dans le quartier de Kagugu, pour 67 euros par jour et par personne, payés par Londres. Le gouvernement rwandais défendait ces conditions d’accueil, en assurant que les arrivants pourraient travailler et bénéficier de la sécurité sociale du pays. Trois possibilités s’ouvriraient ensuite à eux : être régularisés et s’installer au Rwanda, retourner dans leur pays d’origine ou partir pour un pays tiers, à condition qu’ils puissent y résider légalement.

Kigali justifiait ce partenariat avec Londres par la tradition d’accueil du Rwanda, où près de 127 000 réfugiés sont enregistrés. Pour le pays africain, cette association est également une opportunité économique : le Royaume-Uni s’est engagé à investir 120 millions de livres sterling (137 millions d’euros), pour l’accueil des réfugiés et pour le développement économique du pays.

Les ONG britanniques ne s’avouaient pas vaincues, lundi. La voie des recours individuels reste ouverte, la Haute Cour ayant estimé que le ministère de l’intérieur n’avait pas examiné « correctement » les cas particuliers des huit migrants ayant opposé un recours à leur départ.

Les ONG s’inquiètent notamment du sort des personnes LGBTQ dans le pays africain. Suella Braverman, la ministre de l’intérieur du gouvernement Sunak, a réaffirmé, lundi, qu’il n’était pas question de déporter des familles. Mais elle a aussi dit vouloir mettre en œuvre « le plus vite possible » les vols vers Kigali. Très à droite du Parti conservateur, cette élue avait choqué en octobre en affirmant « rêver » de voir décoller des avions de migrants vers le Rwanda.

Depuis janvier, près de 45 000 personnes sont arrivées sur les côtes du Kent : ces passages sont un problème politique considérable pour les tories qui promettaient de « reprendre le contrôle » des frontières grâce au Brexit. Ces traversées peuvent aussi se révéler fatales. Dans la nuit du 13 au 14 décembre, quatre personnes ont trouvé la mort dans les eaux glacées de la Manche quand un bateau gonflable s’est retrouvé en difficulté en pleine nuit.