Le Parlement européen vote en faveur du pacte asile et migration
Alors que les arrivées irrégulières en Europe repartent à la hausse depuis la fin 2022, les députés européens ont arrêté leur position sur des textes-clés du paquet asile et migration, afin de négocier leur mise en œuvre avec les Vingt-Sept.
Publié le 20 avril 2023 dans Le Monde,
Par Philippe Jacqué (Bruxelles, bureau européen).
Une étape importante a été franchie sur le chemin d’un pacte européen pour l’asile et la migration, promis par Bruxelles depuis 2019. Jeudi 20 avril, le Parlement européen a voté en faveur de quatre textes essentiels du paquet législatif sur ce sujet si sensible, alors que les arrivées irrégulières sont largement reparties à la hausse depuis la fin de l’année 2022, avec une progression de 26 %, et de 33 % s’agissant des demandes d’asile au premier trimestre.
Le projet de règlement gérant les « situations de crise », de loin le texte le plus discuté et le plus polémique, a été confirmé par 419 voix pour, rassemblant l’essentiel des groupes du centre gauche au centre droit (dont le Parti populaire européen, PPE), et 129 voix contre. Parmi ces derniers, figurent les eurodéputés français Les Républicains (membres du PPE), comme François-Xavier Bellamy, Nadine Morano ou Brice Hortefeux, ainsi que les élus d’extrême droite derrière le patron du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella. En première ligne dans l’accueil des migrants, les élus italiens, eux, ont voté pour, notamment ceux de la Ligue du Nord et de Fratelli d’Italia, le parti d’extrême droite de Giorgia Meloni, la présidente du Conseil italien.
Ce texte est emblématique car il doit permettre à un Etat, en cas d’arrivée massive et soudaine de ressortissants de pays tiers à ses frontières ou sur ses côtes – comme aujourd’hui en Italie – d’activer, après avis de la Commission, un dispositif de relocalisation obligatoire des nouveaux venus dans d’autres pays.
« C’est un pas dans le bon sens », assure Juan Fernando Lopez Aguilar, l’eurodéputé espagnol socialiste président de la commission des libertés civiles, qui a suivi l’élaboration de ce texte et a fini par trouver un consensus global sur le sujet. « Nous sommes unis, c’est assez rare pour le souligner, sur les migrations », confiait, quelques jours avant le vote, son collègue allemand Jan-Christoph Oetjen (Renew).
Durcissement politique
Si les élus ont su trouver un compromis, les Etats membres de l’Union européenne (UE) en sont encore loin. Les Vingt-Sept ne parviennent toujours pas, en effet, à s’entendre au conseil des affaires intérieures sur ces relocalisations obligatoires. En limitant leur portée aux seules situations de crise, le Parlement tente de les convaincre d’avancer sur cette voie. Aujourd’hui, un dispositif de relocalisations volontaires est bien expérimenté depuis l’été 2022, mais elles se font au compte-gouttes et ses résultats restent très décevants.
Avec le durcissement politique en cours des gouvernements, tant en Suède qu’en Finlande ou encore dans les pays d’Europe centrale, l’idée même de recevoir sur le territoire des demandeurs d’asile est de moins en moins envisagée par une grande partie des Etats. Tout au plus, l’idée d’aider financièrement ou par le biais de la fourniture de matériel est évoquée, mais pas encore réellement acceptée. La négociation s’annonce donc rude d’ici au conseil des affaires intérieures, prévu au début du mois de juin sur le sujet, qui permettrait d’ouvrir les négociations finales pendant l’été.
Afin d’éviter, ou au moins de ralentir tout mouvement secondaire de migrants – une constante depuis dix ans à chaque arrivée de réfugiés – les eurodéputés proposent dans un second texte sur la gestion de l’asile, également adopté, de revoir les critères pour déterminer la responsabilité des Etats membres dans le traitement d’une demande d’asile (les critères dits de Dublin) et le partage équitable des responsabilités.
Au lieu d’en revenir au seul critère du point d’entrée sur le territoire européen pour définir le pays chargé de la demande d’asile, les eurodéputés proposent que les réfugiés puissent déposer leur demande dans les pays où ils disposent d’un « lien significatif » : des attaches familiales, des attaches culturelles, des lieux où ils ont étudié, etc.
Les demandes d’asile progressent
Roberta Metsola, la présidente du Parlement, membre du groupe PPE, a salué ce vote. « Aujourd’hui, le Parlement dispose d’un mandat fort pour commencer des négociations sur le pacte, la migration et l’asile. » La commissaire aux affaires intérieures, Ylva Johansson, s’est dite également satisfaite : « Les larges majorités sur tous les textes montrent que notre approche pragmatique, pratique et surtout européenne de la migration, bénéficie d’un soutien politique sérieux. Nous progressons. »
La Commission espère en effet que l’application des textes permettra notamment de faciliter à la fois la gestion et, lorsque les migrants arrivant, ou sauvés en mer, n’entrent pas dans les critères de l’asile, qu’ils puissent être rapidement renvoyés dans leur pays d’origine.
« Les textes qui aménageront au niveau européen l’accueil ne régleront pas un problème de fond : ces personnes veulent entrer coûte que coûte en Europe pour y trouver une meilleure vie que dans le pays d’où elles viennent », relativise un expert spécialiste de l’asile.
Après une baisse des arrivées en Europe pendant la crise du Covid-19, leur nombre a progressé de 26 % au premier trimestre 2023, selon l’agence Frontex. Près de 54 000 personnes ont bravé la mer ou contourné les murs pour rejoindre les côtes européennes ou la voie des Balkans. Sur le corridor central de la Méditerranée, entre la Tunisie, la Libye, Malte ou l’Italie, les arrivées ont explosé de 308 %, par rapport au premier trimestre 2022, avec 27 000 arrivées recensées.
Les demandes d’asile progressent parallèlement. Selon l’Agence de l’Union européenne pour l’asile, 275 393 demandes de protection, en augmentation de 33 % au premier trimestre, ont été déposées dans toute l’UE. Et cette tendance à la hausse pourrait s’accroître encore, selon la situation des pays de provenance, notamment en Afghanistan, en Syrie, en Turquie et en Tunisie. L’agence, qui a étudié de multiples scénarios, anticipe jusqu’à 170 000 demandes d’asile par mois à l’été, un niveau inédit depuis 2016.