"Les migrants tendaient la main, il fallait faire des choix", témoigne un pêcheur après la mort de quatre exilés en Manche
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Ce qui devait ressembler à une banale fin de semaine en Manche a viré au sauvetage dramatique pour David Malfoy. Le pêcheur boulonnais et son équipage ont héroïquement sauvé quatorze personnes de la mort au large du cap Gris-Nez, vendredi matin, pendant que quatre autres y laissaient la vie.
Par Florent Caffery
Publié :12 Juillet 2024 à 17h52
À 54 ans et toute une vie à batailler en Manche pour remplir son frigo, David Malfoy en a compilé des nuits où ce détroit, maîtrisé comme son jardin, lui a fait des misères. Mais cette virée nocturne vendredi, « je m’en souviendrais longtemps », souffle le pêcheur boulonnais. C’est par téléphone, après quelques heures de sommeil et avec une émotion non feinte, que le quinquagénaire s’est replongé dans ces heures sombres.
Habitué à remonter ses casiers de crabe et homards au large du cap Gris-Nez, le patron du Caprice des temps II est alerté une première fois entre 4h et 5h par le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) Gris-Nez d’un canot en difficulté. En l’occurrence celui d’une soixantaine d’exilés, partis des côtes boulonnaises deux heures plus tôt, direction l’Angleterre. « Le Minck (navire de sauvetage) était là, déroule David Malfoy, mais pour moi c’était habituel, il n’y avait rien de très grave. »
Des corps en train de flotter
Au moment de remettre le cap sur Boulogne, entre cinq et dix minutes plus tard, le ton change. « Le CROSS me recontacte et me dit que la situation est critique, du coup on part directement sur zone. » L’un des boudins du semi-rigide est dégonflé, les soixante personnes se retrouvent à l’eau. À la simple lumière des projecteurs du bateau, dans la nuit noire, le pêcheur et ses trois membres d’équipage débarquent sur « une scène de panique ». Cris, corps à la dérive « pour qui c’est terminé », « il faut agir, résume le Boulonnais. C’était instinctif, humain. »
La « loi du plus fort s’applique », une jeune femme en passe d’être secourue est agrippée par d’autres hommes cherchant leur salut. « Les migrants tendaient tous la main, il fallait faire des choix et sauver les vivants. » Avec l’appui du Minck (qui embarquera 42 exilés), David Malfoy jette dans la Manche gilets de sauvetage et bouées pour « ceux qu’on n’allait pas réussir à remonter. Avec la hauteur du bateau, tout se faisait à bout de bras. Chacun tentait de s’agripper. »
Vingt morts depuis le 1er janvier
L’obstination de l’équipage offre une bouffée d’oxygène à 14 personnes, ramenées saines et sauves au bassin Loubet du port de Boulogne. « On leur a dit de se déshabiller et on leur a donné des couvertures. Ils étaient en hypothermie. » Quatre autres naufragés, des hommes majeurs (probablement Éthiopiens, Soudanais, Érythréens d’après le préfet du Pas-de-Calais), ne sont, eux, pas ressortis vivants du piège mortel, malgré l’intervention des secours treuillés sur le Cormoran, patrouilleur de la Marine nationale également sollicité. Enfin, neuf victimes, en hypothermie et pour certaines blessées (entorse) ont été transférées à l’hôpital de Boulogne.
Pour David Malfoy, la prochaine quête de crabes, lundi, aura une saveur singulière. « Il faut tenter de passer là-dessus et avancer. Mais j’espère que ce sera la dernière fois. Nous, nous ne changerons pas les choses, mais à un moment donné on va y arriver non ? » Il n’est pas le seul à penser ainsi. Ce vendredi, le macabre décompte dans la Manche en 2024 a atteint le cap des 20 victimes.