Migrants : pourquoi ils sont beaucoup moins nombreux sur le littoral depuis quelques semaines (La Voix du Nord)
Par Aïcha Noui Publié: 6 Juin 2024 à 12h29
Les associations, comme les services de l’État, notent une nette baisse de la population de migrants actuellement. La peur de la loi britannique, qui prévoit d’envoyer les immigrés illégaux au Rwanda, était évoquée, mais cette baisse s’explique surtout par un tout autre facteur. Décryptage.
Une zone de répit à Calais où on charge son téléphone, on prend une douche… Des dizaines de migrants érythréens délaissent quelques heures leur camp de fortune pour s’offrir une petite parenthèse auprès des associatifs, venus leur apporter le repas du soir.
Un constat général à la baisse
Le lendemain, à Loon-Plage, route de Fort-Mardyck, à quelques encablures du centre commercial Auchan de Grande-Synthe, des Kurdes, des Afghans ou des Iraniens arrivent pour bénéficier d’un repas servi tous les jours par les associations.
Depuis quelques semaines, ces dernières font le même constat : « Les migrants sont de moins en moins nombreux à Calais et Grande-Synthe, souligne Claire Millot, de l’association Salam. On le voit lors de la distribution des repas. Au cœur de l’hiver, on avait jusqu’à 600 personnes, aujourd’hui, on est à 300 personnes. » Une baisse confirmée par la préfecture du Pas-de-Calais, « le nombre de migrants était estimé à 930 dans le Calaisis début avril, aujourd’hui, il est d’environ 600 personnes ». Dans le Nord, ils seraient entre 400 et 500 désormais, selon les services de l’État.
Les envois au Rwanda en cause ?
L’inquiétude autour de la loi « Safety of Rwanda Bill » – l’envoi au Rwanda des personnes entrées illégalement en Grande-Bretagne – se fait sentir. « La moitié des personnes ne sont plus là, constate Human Rights Observers (HRO). Le mot est passé, l’Angleterre n’est plus très fiable et ils n’ont pas envie d’être déportés au Rwanda. » Pour autant ce sentiment n’aboutit pas à un abandon du projet de passage en Angleterre. « Ils ne le délaissent pas définitivement mais le remettent à plus tard, modère l’association Utopia 56. Certains s’éloignent de la côte et partent dans des hôtels à Lille ou Paris. »
En attendant le 4 juillet, et des élections législatives en Grande-Bretagne qui pourraient changer la donne. Si les Travaillistes venaient à remporter les élections, la loi, à l’initiative des Conservateurs, pourrait devenir obsolète. « Les gens continueront quand même d’aller en Grande-Bretagne, Rwanda ou non, glisse Mohamed Hassan, 23 ans, originaire d’Éthiopie. Moi, je ne suis pas du tout effrayé par cette histoire parce que l’Angleterre, c’est mon rêve. Je suis arrivé à Calais il y a six mois, maintenant que je suis à la frontière, je ne veux pas revenir en arrière ! » À Grande-Synthe, Mohsen Rezavi, 23 ans, va « quand même essayer, j’ai ma famille là-bas. Je n’ai pas peur d’être arrêté, il ne m’arrivera rien. »
Quel impact de la loi sur les traversées ?
La réalité des chiffres du ministère de l’Intérieur britannique, le Home Office, démontre que la loi « Safety of Rwanda Bill » (lire ci-dessous) n’a que peu d’impact sur les traversées. Les départs continuent et n’ont pas baissé par rapport à 2023. Selon le Home Office qui recense les arrivées de migrants, quelques jours à peine après le vote de la loi, 1 409 personnes sont arrivées sur les côtes anglaises sur 28 « small boats » la semaine du 29 avril au 5 mai 2024, avec un record le 1er mai : en une seule journée, 711 arrivées ont été signalées. La préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord (PREMAR) abonde aussi en ce sens, « il n’y a pas de baisse sensible des départs, au contraire, il y a une stabilisation des chiffres de tentatives de traversées. En mai 2024, environ 3 000 personnes ont pris la mer, sur la même période en 2023, c’était 2 200, et 3 200 en 2022. »
Les conditions météo (vent, courant, pluie) « ont aussi un impact, relève Utopia 56. Les gens étaient en stand-by à l’hôtel. » Lors de la semaine du 27 mai au 2 juin 2024 marqué par un temps maussade, aucune arrivée en « small boat » n’a été enregistrée par l’Intérieur britannique. Rien d’exceptionnel dans ce chiffre. En 2023, à la même période, la semaine du 29 mai au 4 juin, 0 arrivée constatée également.
Ce sont donc surtout les traversées réussies en Angleterre qui expliquent la baisse actuelle du nombre de migrants sur le littoral. La préfecture du Pas-de-Calais évoque de son côté, « les opérations d’évacuation et de mise à l’abri qui sont menées très régulièrement à Calais ».
Mais les chiffres eux démontrent surtout qu’en dépit de tous ces facteurs, les traversées réussies de la Manche continuent, preuve de cette détermination des exilés à rejoindre coûte que coûte l’Angleterre. C’est ce qu’en conclut Thomas Keating, un bénévole américain de l’association audomaroise Bethlehem : « Pour eux, l’espoir est en Angleterre même si les lois sont plus dures ». « L’Angleterre, c’est le dernier pays où ils peuvent aller après avoir été refoulés partout », renchérit sa collègue Anne Grasset. Les 4 et 5 juin, le Home Office relevait respectivement, 234 et 34 arrivées sur son sol.
Quid de la loi « Safety of Rwanda Bill »
La loi « Safety of Rwand Bill », votée le 23 avril par le parlement britannique, autorise l’envoi au Rwanda des personnes entrées illégalement en Grande-Bretagne, pour y examiner la situation des demandeurs d’asile contre 580 millions d’euros alloués au pays hôte. Les exilés ne pourront pas prétendre à un retour en Grande-Bretagne.
Les premiers départs sont prévus autour du 12 juillet et les premières arrestations d’immigrés illégaux ont commencé en mai. D’ici la fin de l’année, 5 700 personnes pourraient être envoyées au Rwanda.
Article publié dans La Voix du Nord le 6 juin 2024.
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