Sauvé par l’« Ocean Viking » et renvoyé au Mali

Publié le 1 janvier 2023

Sauvé par l’« Ocean Viking » et renvoyé au Mali 

Publié le 1 janvier 2023

Bamissa D. fait partie des 230 exilés secourus par SOS Méditerranée fin octobre 2022, débarqués à Toulon après trois semaines en mer. Son histoire résume la politique « entre humanité et fermeté » du gouvernement : il a été expulsé vers le Mali en novembre.

Par Nejma Brahim, 1 janvier 2023, pour Médiapart

Le regard vide et le débit saccadé, interrompu par des sanglots étouffés, Bamissa D. peine à ressasser les mésaventures vécues au cours des derniers mois. Nous lui parlons par téléphone, en vidéo, alors qu’il se trouve à Bamako, chez un ami où il est hébergé depuis son retour au Mali. Le jeune homme a été renvoyé par la France, le 22 novembre 2022, après un long périple à travers l’Afrique du Nord puis la Méditerranée centrale, où il avait été secouru fin octobre par l’Ocean Viking, le navire humanitaire de l’association SOS Méditerranée.

230 personnes exilées se sont trouvées coincées en Méditerranée durant trois semaines, sans possibilité d’accoster en Italie, qui a préféré ignorer les appels de l’ONG, avant que la France ne cède et décide d’ouvrir l’un de ses ports pour les accueillir. Mais cet accueil s’est fait au rabais, selon plusieurs associations, dont l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers ou Anafé,  présentes le jour du débarquement à Toulon.

Les rescapé·es de l’Ocean Viking ont été placé·es dans une zone d’attente créée spécialement pour l’occasion. Autrement dit, ils et elles ont été enfermé·es sans avoir pu officiellement pénétrer le territoire français, en attendant le résultat de leur demande d’asile, traitée dans des délais express. Bamissa a encore les photos immortalisant son passage en zone d’attente, un centre de vacances situé sur la presqu’île de Giens, devant la chambre qu’il occupait avec deux Pakistanais et un Bangladais. « On ne nous a pas expliqué ce qu’était une zone d’attente. C’était comme une prison, c’était surveillé et gardé partout. »

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Le jeune homme a fini par être expulsé sur décision du ministère de l’intérieur, après le rejet de sa demande d’asile. Interrogé par la députée Rassemblement national Mathilde Paris le 22 novembre à l’occasion des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, s’en est d’ailleurs vanté : « Vous ne souhaitez pas entendre ce que fait le gouvernement français. À la fois de l’humanité en accueillant ce bateau, faire respecter le droit international et, c’est le cas depuis ce matin, reconduire des personnes, notamment au Mali, [où] un avion est déjà parti. »

Des procédures express pour expulser plus rapidement

Bamissa a été menotté et placé dans cet avion, en partance pour le Mali, après que le juge des libertés et de la détention (JLD) eut décidé de son maintien en zone d’attente et que le tribunal administratif de Toulon eut validé la décision de refus de sa demande d’asile en France.

« Il n’a pas eu d’obligation de quitter le territoire français puisque, juridiquement, il n’est jamais entré sur le territoire », explique Aude Mayoussier, son avocate. À propos de l’entretien mené dans le cadre de sa demande d’asile, cette dernière retient des questions « sans intérêt », qui « n’apportent rien à l’examen de la demande ».

« On lui reproche de ne pas avoir d’éléments permettant de corroborer ce qu’il dit, mais mon client était sur un bateau, c’est donc normal qu’il n’ait ramené aucun document avec lui. Eu égard aux réponses qu’il a données, cette décision de rejet pose problème », déroule-t-elle. Le 22 novembre, Bamissa assure avoir été emmené, avec un autre Malien, par la police aux frontières (PAF) en voiture jusqu’à l’aéroport de Marseille, où un vol les attendait pour Paris.

« Mardi dans la nuit, les policiers sont venus nous dire qu’on partait à Paris. Quand on leur a demandé pourquoi, ils ont répondu qu’on était libres et qu’on allait à Paris, où il y avait plus d’hôtels et une vie meilleure pour nous. Mais quand ils nous ont menottés devant la voiture, j’ai compris qu’il se passait quelque chose », relate-t-il. C’est à leur arrivée à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle qu’un agent de la PAF leur aurait annoncé leur renvoi : « Il nous a demandé si on connaissait notre destination, on a répondu : Paris. Il nous a appris qu’on allait à Bamako. »

Interrogée à ce sujet, Me Mayoussier n’a pas pu confirmer cette information. « Une fois que son maintien en zone d’attente est confirmé par le JLD et le refus de la demande d’asile validé par le tribunal administratif, ma mission en tant qu’avocat s’arrête. Il est ensuite livré à l’administration. »

Une traversée « forcée » de la Méditerranée

Disposant de seulement 24 heures pour faire appel, l’avocate n’a rien pu faire. Près d’un mois après son renvoi au Mali, Bamissa commence à prendre conscience qu’il est revenu à la case départ, alors qu’il avait fui son pays pour échapper aux groupes terroristes qui ont voulu l’embrigader, et qui, selon ses dires, ont tué son père en 2018.

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Originaire de la région de Gao, au nord-est du Mali, il n’a pas de quoi payer son trajet pour retourner dans son village natal, où vit encore sa mère. « Je suis revenu avec un simple habit, je n’ai plus rien aujourd’hui. C’est l’ami qui m’héberge qui m’a prêté les vêtements que je porte en ce moment », confie-t-il. Le temps de « digérer » ce qui lui est arrivé, il faut trois semaines à Bamissa pour avouer à sa mère qu’il est de retour dans son pays. Celle-ci « ne cesse de pleurer » et « ne comprend pas comment [il s’est] retrouvé en Libye, puis en Europe ».

Lorsqu’il quitte son pays avec un ami en 2021, Bamissa pense d’abord pouvoir se réfugier en Algérie. Tous deux vivent durant quatre mois à Tamanrasset, dans le Sud, avant de devoir quitter l’Algérie également : « On a constaté qu’il y avait de plus en plus de contrôles là-bas pour refouler les migrants, raconte-t-il. Mon ami a suggéré qu’on aille en Libye, qui était à côté. » Bamissa trouve un emploi en tant que jardinier chez un Libyen à Sabratha, à l’ouest de Tripoli. Il affirme n’avoir jamais eu l’intention de traverser la Méditerranée.

« Je voulais juste vivre en sécurité et gagner ma vie. Au début, il me payait 1 000 dinars libyens par mois. Au bout de cinq mois, il a baissé mon salaire. » Et puis il ne l’aurait plus payé. Un matin, à l’aube, il est réveillé par son employeur et un homme « armé » venu le chercher à bord d’une voiture aux vitres teintées. « Mon patron m’a dit qu’il ne pouvait plus rien faire pour moi et que je devais partir avec lui. Il m’a emmené au bord de la mer et m’a laissé là avec une quarantaine de personnes d’origine subsaharienne. On nous a forcés à monter sur un bateau. »

Il assure n’avoir rien payé pour cette traversée et soupçonne son ex-employeur de l’avoir remis aux passeurs, dans une sorte d’accord dont il ignore les contours. « Je n’avais jamais pensé faire la traversée. Je savais le danger, je savais que des milliers de personnes mouraient en mer chaque année. Je travaillais en Libye pour survivre et j’ai perdu tout ce que j’avais là-bas. » Après douze heures en mer, l’embarcation n’a plus d’essence et dérive toute la nuit. Au milieu des pleurs des exilé·es, Bamissa « se voit mourir », jusqu’à ce que l’Ocean Viking les secoure le 25 octobre au matin.

Le blocage en mer, durant trois semaines, est un calvaire. Les rescapé·es n’arrivent pas à dormir, souffrent du mal de mer ou sont dans un état si critique qu’ils et elles doivent être héliporté·es.

« On était désespérés, on était si proches de l’Italie mais elle ne nous a pas acceptés. Je sais qu’on était venus clandestinement, mais ça ne mérite pas de nous laisser en mer pendant des semaines », souffle-t-il, déplorant une « politique de fermeture »« L’accueil qu’on a eu en Europe et en France n’a pas été à la hauteur. »

Aujourd’hui, Bamissa n’a plus de goût à la vie. Il affirme ne pas pouvoir retourner dans sa région, où sa vie est toujours en danger selon lui. Il ignore s’il pourra se relever de cette épreuve : « Il n’y a pas de psychologue ici. J’essaie de me changer les idées en regardant le foot, mais je n’arrive pas à oublier ce que j’ai vécu. Je n’ai aucune perspective. » Il a « honte » de dépendre de cet ami qui l’héberge à Bamako et n’a pas de nouvelles de son frère, qui a dû lui aussi quitter le village natal. « Je devrais aider ma mère mais je n’en ai pas les moyens », conclut-il.